Frontenac_T1
échapper à toute oreille indiscrète. Le ministre lui interdisait désormais de sâengager de lui-même ou par lâintermédiaire dâun tiers dans le commerce des fourrures. Il était également tenu de faire contresigner tout permis de traite par lâintendant. Quand on lui avait fait part de ces exigences avant son départ de Versailles, il sâétait contenté dâopiner, tout en se promettant de nâen faire quâà sa tête. Il se savait trop grand seigneur pour devoir se plier à de telles interdictions. Comment, dâailleurs, aurait-il pu subsister sans ce commerce?
â De fait, mon cher, fit Louis à lâintention de son compagnon, vous savez peut-être que jâai fait remplacer La Durantaye par Louvigny à Michillimakinac? Câest un ex-capitaine de ma garde à qui jâai récemment offert un poste dans les Troupes de la Marine. Ce Louvigny est un homme sûr. Comme il me doit beaucoup, il veillera à me bien servir. Jâai dâailleurs fait transporter sur ses canots pas moins de quatre mille livres de marchandises de contrebande, ainsi que quelques tonneaux de rhum.
Tonty ébaucha un sourire. Il savait que le retour de Frontenac sonnait le rappel de La Durantaye. Quelques années auparavant, ce dernier avait commis lâerreur dâentrer dans les plans du gouverneur de lâépoque visant à ruiner lâentreprise de Tonty au Mississippi. Louis, alors en pénitence en France, sâétait juré de le lui faire payer.
LâItalien frisa dâune main preste ses moustaches cirées, relevées en pointe. «Le vieux renard sait placer ses hommes et veille de près à ses intérêts », songea-t-il, impressionné, comme chaque fois, par la façon dont Frontenac assurait ses arrières.
â Oui. Louvigny fera un bon commandant de poste, répliqua Tonty. Lâhomme est fiable et à son affaire, mais il lui faudra une poigne de fer pour contenir les sauvages et les garder dans notre giron. Ils ont donné pas mal de fil à retordre à La Durantaye, ces derniers temps. Nicolas Perrot tombera fort à propos.
Le commandant du fort Saint-Louis-des-Illinois nâignorait rien du sérieux de la situation dans lâOuest. Il savait que la moindre défaillance des Indiens alliés pouvait jeter à bas lâédifice construit à force de diplomatie et menacer la survie de la colonie. Il comptait sur Nicolas Perrot pour ramener les Hurons et les Outaouais à de meilleurs sentiments. Mais il connaissait trop bien la fragilité des alliances avec les sauvages, de même que leur duplicité, pour se bercer dâillusions. Nul doute quâun réalignement majeur des alliés des Grands Lacs en faveur des Iroquois risquait en outre de faire basculer toutes les tribus de lâIllinois et du Mississippi * dans le camp ennemi. Auquel cas le Canada risquait de se retrouver isolé et perdu.
â Perrot rétablira la situation, il le faudra bien, continua Louis en pressant le pas.
Il avait changé dâair et paraissait inquiet.
â Pour ce qui est de Fort Cataracoui, jâai envoyé les sieurs de Manthet, de Sérigny, et Saint-Pierre de Repentigny pour voir dans quel état se trouvent les murs et ramener éventuellement quelques prisonniers. Ils pourront ainsi mâinformer des résultats de mon ambassade de paix auprès des Iroquois.
Tonty grimaça. Il était plutôt sceptique quant aux chances de succès dâune telle démarche, car il avait entendu parler de la grande colère des Iroquois depuis Schenectady. Il savait, par quelques-uns de ses hommes, que les Anglais avaient convoqué dâurgence des délégués iroquois, après le saccage de la ville, et que ces derniers avaient renouvelé leur alliance et juré de le faire payer cher aux Français. Sâil avait été dans les parages quand Frontenac avait pris cette décision, il lui aurait déconseillé lâentreprise.
Mais il ne trouva pas bon de lâalerter inutilement; il était dâailleurs bien tard pour y changer quoi que ce soit.
Louis garda longtemps le silence, puis reprit le cours de sa pensée.
â Manthet mâa déjà fait porter comme message quâil nây avait que quelques brèches aux murailles, ce qui serait facile à réparer, mais que tous les
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