Frontenac_T1
contrepartie, perdait pas moins de trente-cinq mille peaux de castor par année. En plus dâêtre un poste de commerce extrêmement rentable, Fort Bourbon revêtait une grande importance stratégique, puisquâil pouvait être utilisé comme base dâopération contre les autres postes et les lignes de navigation de la baie.
Louis nâignorait pas que Denonville avait épousé la cause de Pierre dâIberville dès son retour en France et pressé Seignelay de seconder les desseins bellicistes de lâaventurier. Iberville lui-même était allé en métropole pour préparer le terrain et mousser son projet. Louis savait lâhomme habile mais sâétonnait encore de son pouvoir de conviction, car tous semblaient tombés sous le charme du bouillant Canadien : les ministres, les fonctionnaires et même le roi. Mais il se garderait de donner dans le panneau, déjà convaincu de voir se profiler lâambitieux sous le masque du soldat dévoué, le profiteur sous les dehors du conquistador.
â Les bateaux de la Compagnie sont déjà à quai, je suppose? continua néanmoins Louis, sur un ton dâune grande suavité.
â Oui, en effet, fit Iberville. Il sâagit de deux petits voiliers armés de dix et douze canons, La Sainte-Anne et Le Saint-François-Xavier . Câest le capitaine Simon-Pierre Denys de Bonaventure qui pilotera le second, comme vous lâavez recommandé, lors même que je conduirai le premier.
Louis opina. Il avait une grande admiration pour Bonaventure, quâil tenait pour le meilleur navigateur du pays et quâil avait fort vendu au roi.
â Notre petit contingent de quelque quatre-vingts soldats est déjà levé et sur le pied de guerre.
Iberville trouvait néanmoins que câétait insuffisant, comparativement aux forces que les propriétaires de la Hudson Bay Company pouvaient leur opposer. Les actionnaires de la Compagnie du Nord avaient pourtant crié haut et fort que cet armement, qui avait entraîné des débours de cent quatre mille livres, les saignait à blanc. Iberville avait dâabord exigé le double dâhommes et un vaisseau équipé de vingt-quatre canons, dâun mortier et dâune plus grande quantité de boulets et de bombes, mais on avait jugé sa demande exorbitante et on lâavait ignorée. Il nâavait pas fallu non plus compter sur lâaide du roi qui, bien que directement intéressé au succès de lâentreprise, nâavait pas avancé un misérable centime. Pierre dâIberville se voyait ainsi condamné à faire, comme toujours en ce pays, des miracles avec presque rien...
Louis pouvait imaginer le désappointement de son interlocuteur devant la faiblesse de ses moyens. Il avait dâailleurs entendu parler de sa colère et de ses exigences de dernière minute. Ce nâétait pourtant pas faute dâavoir accordé son appui au projet, car Frontenac avait adressé au roi un mémoire rédigé avec lâintendant exposant de façon convaincante lâimportance de favoriser la prise de ce fort stratégique. Il avait même vanté les mérites et les talents de Pierre dâIberville, malgré les fortes préventions quâil avait contre lâhomme. Il considérait cependant que lâavarice du roi mettait une fois de plus en évidence, sâil était encore utile dâen faire la preuve, le manque dâintérêt du monarque pour le Canada.
Après lâavoir assuré de son soutien inconditionnel, Louis fit raccompagner son visiteur par Monseignat. De la fenêtre du grand salon devant laquelle il sâétait attardé, il regarda quelque temps cheminer la haute silhouette du militaire.
Ce sont tous de fort jolis enfants, avait écrit Denonville des fils Le Moyne dans un mémoire présenté au roi en faveur de lâanoblissement du père et dont Louis avait eu vent. Câétait vrai, du moins pour les plus connus dâentre eux, tels que Maricourt, Sainte-Hélène, Longueuil et Sérigny. Les autres, Louis les avait à peine aperçus. Mais pour ce qui était de Pierre dâIberville, il aurait été aveugle sâil avait nié lâévidence : câétait un bel animal! Au physique, câétait un homme grand aux épaules larges, parfaitement
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