Frontenac_T1
proportionné, à lâair martial, à la démarche assurée et dâune élégance à faire pâmer les dames. Au moral, le directeur de la Compagnie du Nord avait eu ce mot en parlant de lui : «Câest un gentilhomme dâun très grand mérite et dâune conduite admirable, et aussi soldat que lâépée quâil porte. »
Louis haussa les épaules. «Adulations, flatteries et basses flagorneries que tout cela. » Sâil était indéniablement bel homme, les hautes qualités morales quâon prêtait au personnage collaient peu aux actes.
Surtout depuis ce scandale de mÅurs dans lequel avait trempé Iberville et que Monseignat lui avait rapporté par le détail. On en avait cancané tout le long de lâinterminable procès qui en avait résulté. Une jeune femme accusait Pierre dâIberville de lâavoir séduite, engrossée et abandonnée. Portée devant le conseil souverain, lâaffaire avait traîné en longueur tant le clan des Le Moyne avait fait des pieds et des mains pour quâon abandonne lâaccusation. Mais en vain, car leur plus glorieux rejeton avait quand même été déclaré coupable.
â En fait de conduite admirable, on a vu mieux... se gaussa Louis, toujours planté devant son poste dâobservation.
â Nâempêche que même avec des moyens modestes, ce diable dâhomme est bien capable de gagner son pari et de ramener Fort Bourbon dans notre giron, marmonna-t-il encore dans un mélange dâadmiration et de défiance.
Il savait lâaventurier redoutablement efficace quand il sâagissait dâopérations militaires. Rien ne lâarrêtait. Lors de sa dernière campagne à la baie de James, il sâétait brillamment tiré dâaffaire avec des moyens encore plus limités que ceux dont il disposait actuellement. Au sortir dâune rivière, il sâétait emparé par ruse et par audace de deux gros navires ennemis, alors que son propre vaisseau était dépourvu dâartillerie. Il avait rapporté un butin considérable, repris trois forts aux Anglais, fait de nombreux prisonniers et ramené à Québec les deux bâtiments, avec leur équipage et leur cargaison. Sa dureté et son indifférence à la souffrance humaine en faisaient un guerrier redoutable, un défaut que Louis ne pouvait pas lui reprocher par ces temps de misère et de survie que connaissait la colonie. Il fallait des hommes inflexibles pour faire face à des ennemis qui ne lâétaient pas moins.
â Sâil réussit, nous lui devrons quand même une fière chandelle, finit par concéder Louis en tournant les talons.
Au loin, au détour de la route, il ne restait déjà plus de la haute silhouette mobile quâun petit point à peine perceptible qui disparut bientôt, happé par la rangée de grands arbres.
* * *
Câétait une radieuse journée de juin. Frontenac descendait la route du château en compagnie de Henri de Tonty et se dirigeait vers un point dâobservation offrant une des plus belles vues de Québec. Au loin, la lumière crue de midi éclaboussait de blanc la fine dentelle des nuages et faisait danser sur les rouleaux sages des eaux un carnaval de couleurs. Par contraste, au premier plan, le long tapis vert sombre de la forêt sâétalait à perte de vue et avalait tout, en exhalant un lourd parfum dâhumus.
Louis enserrait amicalement le bras de son hôte et devisait de tout et de rien, lâair détendu. Il avait convoqué Tonty pour lui annoncer quâil était reconduit dans son poste de commandant du fort Saint-Louis-des-Illinois, et aussi pour discuter de lâavenir de leurs intérêts communs. Lâofficier dâorigine italienne avait pour mandat de continuer lâexploration du Mississippi, en échange de quoi le roi lui allouait un droit de traite sur le territoire des Illinois. Comme cette charge avait été obtenue par lâintercession de Frontenac, Tonty lui versait en retour une partie de ses bénéfices. Cette fructueuse association avait repris dès le retour au pays du gouverneur général.
Comme il devait mener ses affaires dans le plus strict secret, Louis ne commença à parler de choses sérieuses que lorsquâil fut certain de pouvoir
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