Frontenac_T1
de façon à rendre impossible toute tentative de rapprochement entre Iroquois et Français, alors que dâautres voix plus modérées et plus prudentes au sein de la tribu plaidaient pour le garder en vie. Nâétait-il pas un des officiers les plus haut gradés de Frontenac et sa mort ne risquait-elle pas dâenvenimer à jamais leurs relations avec la Nouvelle-France? Sa seule planche de salut tenait à cette crainte des Iroquois et à la lucidité de certains, dont Téganissorens, peut-être...
Un long cri perça tout à coup la nuit et traversa dâO de part en part. Il se raidit, envahi dâun frisson de frayeur animale. Des larmes lui montèrent aux yeux. Les cris se firent gémissements, puis hurlements. Le long calvaire de La Beausière et de Colin commençait.
â Mon Dieu, laissa-t-il échapper dans un souffle. Faites que leur cÅur lâche au plus tôt!
Il aurait voulu pouvoir se boucher les oreilles pour échapper à ces braillements dâépouvante qui sortaient maintenant de la gorge de La Beausière. Les femmes et les enfants riaient de voir le Français sâagiter comme un damné et courir de façon pitoyable autour du poteau auquel il était lié pour échapper aux tisons chauffés à blanc quâon lui appliquait maintenant sur les jambes et les pieds. Il poussa tout à coup de tels cris syncopés que les enfants se mirent à lâimiter en mimant les gestes désordonnés du martyr et en criant à tue-tête, sur le même ton aigu et perçant. Le spectacle sâannonçait prometteur et on sâexcitait.
â Maudits soient-ils tous! Maudits jusquâau dernier! hurla le chevalier de toute la force de ses poumons en tentant de se redresser, malgré les liens qui le rivaient au sol.
La protestation dâimpuissance jaillie du fond de son indignation et répétée de façon spasmodique ne lui apporta aucun apaisement. Il cria plus fort encore, dans lâespoir dâenterrer les insupportables gémissements qui sâenflaient, se modulaient et se doublaient maintenant des plaintes plus retenues surgies de la bouche de Colin. Celui-là même dont Oureouaré avait fait son frère de sang et quâil avait chaudement recommandé dans son message à ses compatriotes!
â Nous vous vengerons, Colin, La Beausière! clama dâO dans son désarroi. Mâentendez-vous? Nous vengerons dans le feu et le sang chacune des souffrances que vous subissez aujourdâhui! Je le jure devant Dieu!
Il éructait ces menaces avec rage, sans réaliser quâil hurlait avec tellement de force quâon nâentendait plus que lui. Puis sa voix sâéteignit brusquement. Un terrible coup à la base du crâne le plongea dans une noirceur dâencre. Son corps se détendit aussitôt comme un ressort cassé.
* * *
Une lueur vacillant entre ses paupières le tira lentement de sa torpeur. Il gémit et tenta de relever la tête, mais une douleur aiguë à la nuque le força à y renoncer. Dâétranges incantations scandées à voix haute le ramenèrent aussitôt à la réalité. Il ouvrit les yeux sur un ciel sombre, traversé dâorangé. Quel jour était-ce et où donc était-il? Il nâeut pas à sâinterroger longtemps, puisquâil vit se balancer au bout dâun pieu la tête mutilée de La Beausière et, plus loin, semblablement apprêtée, celle de Colin.
Tous les douloureux souvenirs de la veille refluèrent en lui.
Le chevalier put voir, non loin de lâéchafaud autour duquel étaient rassemblés des hommes, deux sorciers qui semblaient mener le jeu. Des paroles modulées sur un ton de prière étaient répétées avec insistance par les officiants. Ils élevaient vers le ciel rougeoyant leurs mains dégoulinantes du sang des victimes, tout en psalmodiant des paroles rituelles.
De quelles pratiques sâagissait-il? Dâun culte au soleil? sâinquiéta dâO. Il croyait en effet se souvenir que Colin y avait un jour fait allusion. Ils sacrifiaient et offraient leurs victimes au dieu Aiereskoï , quâon supposait être le soleil. Lâinterprète avait déjà été témoin de la mise à mort dâune prisonnière huronne et, à chaque fois quâon lui avait appliqué le feu
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