Frontenac_T1
présidait une longue flottille de canots dont les occupants hissaient le fleur de lys, scandaient des «Vive le roi » impétueux, lançaient des cris aigus ou tiraient en lâair en réponse aux démonstrations de joie des alliés. Debout à lâavant dâun canot, un malheureux prisonnier iroquois, le front haut, se mit à entonner dâune voix caverneuse son lugubre chant de mort.
Ils mirent pied à terre sous une puissante décharge de mousqueterie. La population indienne se gonfla de dizaines de guerriers venus aux nouvelles, la mine réservée et lâair interrogateur. Mais les nouveaux arrivants gardaient nerveusement le doigt sur la gâchette, par défiance de cette multitude bigarrée à lâhumeur changeante. Le récit par Perrot de leur récente victoire à la Chute des Chats, de même que lâimposant étalage de scalps iroquois fixés aux embarcations, avait cependant de quoi calmer les esprits. Assez, du moins, pour éviter un soulèvement dans lâimmédiat.
Perrot et Louvigny furent accueillis par le commandant La Durantaye, qui reçut sans broncher lâordre émis par Frontenac de le relever de ses fonctions. Il leur fit les honneurs des lieux en les installant du mieux quâil put dans des baraquements déjà surpeuplés. à lâextérieur, les hommes montaient leur campement, entourés dâanciens compagnons qui, tout en leur prêtant main-forte, leur glissaient sous le manteau une petite rasade dâeau-de-vie.
Le père Carheil, lâauteur de la lettre informant Frontenac de la défection des alliés, enserra la main de Perrot dans sa forte pince de géant. Le jésuite était un colosse au torse puissant et au visage ouvert et confiant. Sa barbe noire et dense tranchait sur sa calvitie avancée, qui laissait à nu tout le front et le dessus du crâne. Le père se montra fort heureux de la célérité avec laquelle le gouverneur avait répondu à sa requête. Il mit rapidement Perrot au courant des derniers développements.
â Il faut tuer dans lâÅuf toute velléité dâalliance entre les peuples dâici et les Cinq Nations. Il faut quâils sachent que nous ne sommes pas dupes de leurs belles promesses. Car lâesprit de nos sauvages est sens dessus dessous depuis le massacre de Lachine. Ils se sont laissé ameuter par le chef outaouais, Petite Racine, qui leur a assuré que nous étions désormais trop faibles pour les protéger contre les Iroquois, et quâune alliance avec ces derniers leur éviterait dâêtre anéantis à leur tour. Il a même envoyé ses émissaires semer lâinquiétude et la peur jusque chez les tribus du Mississippi. Et vous vous doutez bien que câest Kondiaronk qui le manipule en sous-main et lâexcite contre nous. Câest encore lui, lââme damnée de cette terrible machination.
Nicolas Perrot eut une moue entendue. Il connaissait assez bien lâhomme pour savoir de quoi il retournait. Lâannée précédente, il avait mis à jour une conspiration du chef huron pour massacrer les Outaouais, avec lâaide des Iroquois. Aidé de La Durantaye et des pères jésuites, il avait confondu Kondiaronk et fait avorter le complot.
Perrot trouvait dâailleurs les sauvages naturellement fourbes et peu fiables. à la limite, il aurait préféré quâon les laisse vider leurs querelles entre eux et sâentretuer, plutôt que dâavoir sans cesse à intervenir. Car il voyait bien que le Miami et lâIllinois se haïssaient, que lâIroquois en voulait à lâOutaouais et au Sauteux, que le Huron voulait éliminer lâOutaouais, qui rêvait de lui réserver le même sort. On ne pouvait sâattendre de leur part quâà des guerres interminables et à des coups de main sanglants si on nây remédiait pas. Dès que le Français avait le dos tourné, son allié sâempressait de pactiser avec lâIroquois ou dâaller porter ses fourrures à lâAnglais. Dans pareil contexte, la politique de pacification de Frontenac prenait à ses yeux lâallure dâune franche utopie.
Mais Perrot prit aussitôt les choses en mains en se dirigeant dâun pas résolu vers les villages indiens, accompagné du père Carheil. Leurs longues
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