Frontenac_T1
cabanes sâéchelonnaient de part et dâautre dâun ruisseau brassant des eaux glaciales. Il se rendit dâabord chez les Hurons, en passant ostensiblement devant les campements outaouais. Il visait à exciter leur jalousie à fleur de peau, selon le vieux principe qui veut quâil faille diviser pour mieux régner.
Les deux hommes entrèrent chez Kondiaronk. Le vieux chef huron était assis et fumait tranquillement sa pipe. Il avait eu connaissance de lâarrivée des Français, mais nâavait pas bougé de sa natte. Comme il régnait une chaleur torride, il ne portait quâun pagne noué aux reins. Sa peau tannée, marquée par le temps, recouvrait un corps osseux et musculeux. On ignorait son âge, mais il nâétait pas tombé de la dernière pluie. LâIndien leva un regard impassible sur ses invités et leur fit signe de sâasseoir. Perrot prit le calumet que son hôte lui tendait et en tira de longues bouffées. Le jésuite sâassit en tailleur en relevant sa soutane et se prit à observer Kondiaronk. Ce dernier, surnommé « le Rat » par les Français, demeurait pour lui une énigme. On ne savait jamais de quel côté il allait pencher. Sa ruse et son intelligence étaient si remarquables que mieux valait lâavoir comme ami que comme ennemi.
â Nous connaissons tout des manigances qui ont été entamées « sous terre *  » avec les Iroquois, commença dâentrée de jeu Nicolas Perrot. Mais je nâaccuse pas les Hurons. Nous savons, toi et moi, de quelle fourberie sont capables les Outaouais. Ils ont amorcé des démarches dâalliance avec les Iroquois et auraient même présenté le poignard à toutes les nations dâen haut, pour les exciter contre nous. Je suis ici pour empêcher toute défection de ce genre. Sais-tu que le comte de Frontenac, le grand Onontio, est revenu, plus décidé que jamais à détruire ce repaire de vipères que constituent les Cinq Nations? Et fermement résolu à écraser par la force toute tentative de mutinerie de la part de ses alliés?
Perrot parlait la langue de son hôte avec aisance et rapidité. Il maîtrisait aussi bien le huron que le père Carheil, un fin polyglotte.
Kondiaronk répondit sans se démonter :
â Ce que tu mâapprends là ne me surprend ni ne mâétonne. Cette nation félonne ne cesse de tramer contre nous et contre les Français. Les Outaouais ont la ruse du renard. Ils vous font de grandes gentillesses, vous comblent de présents et de caresses et vous assomment à coups de massue dès que vous leur tournez le dos. Mais tu fais bien de dire que les Hurons nâont pris aucune part à ce coup bas. Nous sommes toujours restés fidèles à Onontio et nous nous réjouissons de son retour. Quâil parle à travers toi, quâil dise ce quâil attend de nous et nous le suivrons.
Le diplomate opinait, tout en sâamusant intérieurement. Il savait bien que le Rat avait maintes fois pratiqué ce quâil reprochait aux Outaouais. Qui dâautre, dâailleurs, avait suffisamment dâinstinct politique et dâemprise sur les guerriers pour les inciter à trahir les Français? Mais Perrot fit mine de le croire sur parole.
Pour faire montre de sa bonne foi, Kondiaronk proposa de sâoccuper personnellement du prisonnier.
â Quâon me donne ce captif et je me charge de lui faire passer le goût de vivre.
â Fort bien, fit Perrot. Mais à la condition quâon le sacrifie sur-le-champ.
Le chef en fit aussitôt le serment et le malheureux, déjà meurtri par les sévices quâon commençait à lui infliger, lui fut immédiatement livré. Voilà qui entrait dans les vues de Perrot et servait ses fins. Si on sacrifiait lâIroquois, cela risquait de mettre en péril les négociations de paix déjà entamées avec les Cinq Nations. Le chef huron fit si bien les choses que lorsque Perrot et le père Carheil quittèrent sa longue maison, le prisonnier était déjà attaché au poteau et semblait sur le point dâêtre supplicié.
Les Outaouais, par contre, se montrèrent indignés du fait quâil ne leur avait pas été remis en priorité. Leur chef le réclama avec force. Mais Perrot fit la sourde oreille.
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