Frontenac_T1
sauvages de se faire bousculer en pleine nuit. Les cinq pères jésuites, Louvigny, les autres officiers et les coureurs des bois firent tous bloc derrière Nicolas Perrot.
Lâémissaire de Frontenac se campa résolument devant les chefs assis à même le sol et les fixa sans parler, les bras croisés sur la poitrine, dans une attitude de défi. Il jouait son va-tout. Il fit durer la confrontation un long moment, dans un silence de mort. Ses vis-à -vis le toisaient effrontément, les mâchoires serrées et le regard dur.
â Le comte de Frontenac, Onontio, votre Père, est revenu parmi nous, finit-il par articuler, pour marcher contre les Iroquois si vous marchez avec lui. Nous savons tout de vos négociations et de la faute impardonnable que vous avez commise en tentant de vous rallier secrètement à nos ennemis!
La voix, au timbre puissant, portait loin. La scène, éclairée par des dizaines de flambeaux balayant la nuit, paraissait irréelle. Mais devant Perrot, les visages demeuraient résolument impénétrables, bien quâon attendît la suite avec intérêt. Après Lachine, ils avaient vu de leurs yeux les Français anéantis, prêts à se jeter dans le premier bateau en partance pour la France.
Lâorateur continua sur sa lancée.
â Voici le message dâOnontio : vous semblez avoir oublié la protection que je vous ai toujours dispensée. Me croyez-vous mort? Ou croyez-vous que je vais demeurer passif comme ceux qui mâont précédé? Croyez-vous que moi, Onontio, je ne puisse pas remplacer par dix autres chaque cheveu arraché de vos têtes pendant mon absence? Rappelez-vous quâavant que je ne vous offre ma protection, le chien iroquois vous mordait avec férocité. Je lâai maté et muselé, mais dès quâil a cessé de me voir, il a recommencé de plus belle. Sâil continue, il va sentir ma puissance... Je suis un bon Père et je vous aime tous, comme jâaimais aussi les Iroquois quand ils mâobéissaient. Quand jâai appris quâon les avait traîtreusement capturés et amenés aux galères, je les ai fait libérer. Et quand jâai renvoyé ces Iroquois dans leurs cantons, cela nâétait pas par faiblesse mais par pitié. Car je hais la tricherie!
Perrot sâinterrompit sur cette dernière phrase. Puis il la répéta trois fois en la martelant tantôt en huron, tantôt en outaouais, tout en continuant à dévisager les hommes toujours imperturbables. Et il continua :
â Les cantons iroquois sont cinq terriers de rats musqués que je vais saigner à blanc et brûler, avec tous leurs occupants. Car moi, Onontio, je suis assez puissant pour détruire les Anglais, mettre les Iroquois à genoux et vous éliminer tous si vous manquez à vos devoirs envers moi!
La menace était claire et les chefs parurent en saisir lâampleur. Perrot, en bon diplomate, adoucit sa voix et reprit, en usant cette fois de considérations personnelles.
â Les Cinq Nations ne sont-elles pas vos pires ennemies? Et nâavez-vous pas tout à perdre à vous jeter ainsi dans leurs bras? Toi, le Huron, as-tu perdu la mémoire? LâIroquois nâa-t-il pas traqué et massacré sans merci tout ton peuple? Et toi, lâOutaouais, ignores-tu ce quâil trame pour te détruire? es-tu assez sot pour oublier quâil rêve de tâenlever ton florissant commerce avec nous autres, Français?
Lâinflexion de voix sâintensifia. Nicolas Perrot répéta ces dernières paroles sur un mode incantatoire en se balançant sur ses jambes, à la manière des orateurs indiens.
â Quant aux Anglais, continua-t-il, le bon prix de leurs marchandises nâest quâun appât dont ils se servent pour se rendre maîtres de vous et vous donner en proie aux Iroquois!
Puis Perrot abattit la carte de la puissance militaire des Français. Il exposa et martela chacune de leurs victoires depuis Lachine. Casco Bay, Schenectady, Salmon Falls, la victoire des Chats, les victoires abénaquises, tout y passa et avec force détails, de façon à les faire réfléchir sur le risque quâils couraient en sâaliénant les Français.
Sachant par expérience quâil fallait jouer tantôt du bâton, tantôt de la carotte, Perrot changea de
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