Frontenac_T1
Il leur tint à peu près le même discours quâà Kondiaronk, en accusant cette fois les Hurons. Petite Racine, leur chef, nia avec force toute participation aux prétendues tractations avec les Iroquois et jura de sa fidélité inconditionnelle à Onontio.
Lorsque le diplomate français repassa par le village huron, il sâétonna de ne pas retrouver le captif : on lâavait détaché et son sort paraissait en suspens. Après enquête, il apparut que le Rat avait décidé de garder lâhomme vivant pour se concilier la faveur des Iroquois. Les Outaouais, informés de la chose, protestèrent âprement en se disant prêts à le mettre à mort. Le nouveau commandant Louvigny fut mandé à la rescousse. Il crut calmer le jeu en suggérant tout bonnement de passer le prisonnier par les armes. Ce à quoi le père Carheil sâopposa vivement.
â Usons plutôt de diplomatie. Laissez-moi seul avec Kondiaronk, lui souffla-t-il à lâoreille.
Quand il fut certain de nâêtre pas entendu, le jésuite lui tint ce discours :
â Grand chef, tu ne peux pas garder cet homme vivant après avoir donné ta parole de le mettre à mort. Ce serait te discréditer aux yeux des Français.
Lâargument tomba à plat devant un Kondiaronk buté. Il fixait le jésuite avec un regard frondeur.
â Comment peux-tu, toi, lâhomme de Dieu, demander quâon mette ce prisonnier à la chaudière, alors que tu dis sans cesse quâun chrétien ne doit pas faire souffrir ainsi son semblable? lui rétorqua finement le vieil Indien, en se fendant dâun sourire où pointait une touche de hauteur dédaigneuse.
Le jésuite répondit aussitôt, dâune voix onctueuse :
â Il est des circonstances exceptionnelles où il faut regarder plus loin que ce qui se trouve immédiatement devant tes yeux. Je ne peux malheureusement rien pour ce pauvre prisonnier, rien pour son corps de mortel, mais je peux sauver son âme qui, elle, est éternelle. Cet Iroquois a été capturé de haute lutte par les Français qui te font un grand honneur en te lâoffrant. Refuser de le mettre à mort serait leur faire une grave injure. Leur colère pourrait être grande. Songes-y. Et si tu ne tiens pas parole, tes frères outaouais se feront une gloire de le faire mourir à ta place.
Ce dernier argument parut ébranler le Huron. Il demeurait pourtant silencieux.
â Ne tâai-je pas toujours bien conseillé? continua le père Carheil.
Kondiaronk se contenta de toiser le missionnaire de haut en bas. La partie semblait perdue, mais il avait dâautres tours dans son sac...
Le misérable condamné fut ramené plus mort que vif au poteau, auquel il fut à nouveau lié, et les tortionnaires remirent tranquillement leurs fers au feu. Le malheureux sâétait vu successivement perdu, puis sauvé, puis perdu à nouveau, une valse-hésitation qui dut miner sa résolution et rabattre son courage, car lorsquâon commença à le tourmenter, il se mit à gueuler comme un putois. Puis il implora la pitié. On se prit à rire et à se moquer de lui en le traitant de « femme ». Comme il continuait sur le même registre et refusait de jouer le jeu, Kondiaronk lui asséna un formidable coup de casse-tête qui le tua aussitôt. Puis on disposa de son cadavre, quâon dépeça et jeta aux chiens. On refusait de manger le corps dâun guerrier qui sâétait déshonoré en ne sachant pas mourir dans lâhonneur et la dignité.
Ce dénouement rapide pouvait paraître rassurant, mais Perrot se méfiait. De fait, le soir même, un accord secret eut lieu. Une délégation chargée de ratifier le traité de paix sâapprêtait à partir secrètement pour Onontagué. Perrot eut vent de la manÅuvre et décida de lâétouffer dans lâÅuf. Il envoya aussitôt ses hommes frapper aux cabanes et convoquer les conseils indiens, à grand renfort de roulements de tambour et de coups de clairon.
La nuit sâéclaira de brandons enflammés et une longue cohorte se forma bientôt devant la maison des jésuites. Des soldats en armes et sur un pied de guerre encadraient la scène. On sentait la colère gronder, car il nâétait pas dans lâhabitude des
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