Funestes présages
murmura-t-il.
Que s’était-il passé dans cette chambre ? C’est là que tout avait commencé. Le magistrat était encore convaincu que la solution de tous ces mystères se trouvait là, dans l’abbaye, dans ses manuscrits et à Bloody Meadow, cet obsédant tertre funéraire isolé. Corbett rassembla pêle-mêle les documents de l’abbé. Il avait ordonné qu’on les laisse là et les étudiait à nouveau. Il les feuilleta et prit un morceau de vélin, un brouillon de lettre adressée à un marchand d’Ipswich. À la fin il y avait l’habituel dessin gribouillé représentant une roue avec moyeu, rayons et jante. Il attira vers lui le bout de parchemin sur lequel il avait recopié les citations de l’abbé. La première était extraite d’une épître de Saint Paul, ou plutôt s’agissait-il de l’interprétation qu’en avait faite l’abbé : « Car à présent je vois dans un miroir, confusément : les feux follets me font signe. » L’autre venait de Sénèque : «N’importe qui peut ôter la vie à un homme, mais personne ne peut lui ôter sa mort. » Il était clair que l’abbé avait griffonné ces mots un peu avant son trépas, mais que signifiaient-ils ? Quel sens avaient-ils ? Pourquoi le symbole de la roue avait-il autant fasciné l’abbé Stephen ? Corbett prit le psautier et regarda la liste des noms inscrits à la fin. Il reconnut celui de Salyiem, vrai nom du Gardien des portes, et celui de Reginald Harcourt. Les autres étaient sans doute des chevaliers avec lesquels l’abbé avait servi quand il était soldat. Et, enfin, ce nom énigmatique ― Héloïse Argenteuil ― qui lui rappelait quelque chose sans qu’il sache quoi. Il prit une plume et nota les autres détails intéressants : l’obsession de l’abbé pour Rome et la « manière romaine ». Qu’est-ce que cela voulait dire ? Pourquoi avait-il envisagé de changer d’avis au sujet de Bloody Meadow ? Et les réflexions incompréhensibles de frère Dunstan sur la compassion de l’abbé et son attitude envers le péché ?
Un coup à la porte interrompit ses recherches.
— Entrez ! cria-t-il.
Ranulf se glissa comme un chat dans la pièce. Rien qu’à sa façon de se tenir, ceinturon dans une main, chape dans l’autre, le magistrat comprit que son écuyer s’était livré à une sanglante besogne.
— Tu es allé à la recherche de Scaribrick, n’est-ce pas ? l’accusa Corbett. Tu n’avais point ma permission. En rentrant à Norwich, j’aurais établi un mandat d’arrêt contre lui.
Ranulf laissa tomber chape et ceinturon sur le sol.
— Oui, et il se serait caché comme un connil dans la forêt. Il aurait attendu que les hommes du shérif se lassent de le poursuivre et aurait repris ses méfaits. Vous connaissez la loi, Sir Hugh ! Scaribrick avec félonie et traîtrise, la malignité au coeur, a attaqué et tenté d’occire trois envoyés royaux, des clercs chargés des instructions royales. Édouard l’aurait fait pendre, écarteler et dépecer.
— L’a-t-il ordonné ? questionna Corbett d’un ton sec.
— Non, Messire. Mais Lady Maeve, oui.
Corbett, surpris, leva les yeux.
— J’ai juré, Sir Hugh, comme chaque fois que nous partons, que je vous ramènerai sain et sauf. Ils méritaient la mort. Un jour nous quitterons cet endroit sinistre et nous parcourrons des chemins déserts et enneigés. Je ne veux pas que Scaribrick et les autres nous attendent sous les arbres, arcs tendus et flèches encochées.
Le magistrat baissa les yeux sur le morceau de parchemin qui se trouvait devant lui. Selon la loi, et surtout selon celle de Winchester, Ranulf avait agi en toute légalité et comme il le fallait. Des coquins les avaient agressés sur le grand chemin. Comme ils étaient clercs royaux, la loi ordonnait sans équivoque que « tous les loyaux serviteurs de la Couronne pourchassent ces malandrins et leur infligent une exécution sommaire ». Mais Corbett aurait préféré que la justice soit rendue par les juges d’assises du roi.
— Tu l’as affronté loyalement ? s’enquit-il.
Ranulf eut un grand sourire.
— Je lui ai même demandé de se rendre. Il a refusé et a aggravé son cas en dégainant et en m’attaquant.
— Combien étaient-ils ? murmura Corbett.
— Scaribrick et deux coquins. Les autres se sont enfuis. Ils ont appris une leçon qu’ils n’oublieront pas de sitôt. Je les ai rencontrés à La Lanterne dans les bois.
Ranulf haussa les
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