Funestes présages
office ?
— C’est vrai, mon père, tout comme vous connaissez le nom et l’office de Messire Corbett. Par conséquent, montrez-vous respectueux.
Corbett, debout derrière les moines, se croisa les bras et fixa le sol. Lui et Ranulf avaient mené moult enquêtes. Il avait l’impression d’être un acteur dans une pièce. Chacun jouait son rôle sans avoir besoin de réfléchir. Ranulf, qui estimait qu’il relevait de son privilège de se gausser de son solennel maître, de le taquiner, était fort peu enclin à permettre à quiconque de faire de même. Hamo grommela des excuses.
— Il n’y avait donc rien d’anormal ? interrogea Corbett en reprenant son siège et en frappant sur la table. Cette pièce n’a pas d’autre porte, les fenêtres étaient fermées, il n’existe point de passage secret et pourtant quelqu’un est entré et a plongé un poignard dans la poitrine de votre abbé.
Il n’attendit pas le choeur d’acquiescements.
— L’abbé était affaissé sur sa chaire, n’est-ce pas ?
— Je vous l’ai déjà dit, déclara Cuthbert.
— Et ses mains ?
— De chaque côté du corps.
— Y avait-il du désordre ? Rien d’autre ne semblait étrange ?
— Rien.
— Mais le poignard appartenait bien à l’abbé Stephen ?
— Ah, c’est vrai, dit Hamo. J’ai pourtant remarqué quelque chose. L’abbé Stephen avait sorti son vieux ceinturon du coffre. Il était sur le plancher. Le fourreau de sa dague était vide.
— Allez quérir cette arme ! ordonna Corbett.
Le prieur claqua des doigts et Perditus sortit. Il revint en rapportant un linge plié. Le magistrat l’ouvrit et en sortit la dague. On l’avait nettoyée et polie. La garde était en acier, le pommeau ouvragé de façon à ne pas glisser dans la main, la lame longue, effrayante et effilée. Corbett portait un poignard semblable : de près, leurs blessures étaient mortelles. Il se rassit et balança quelques instants l’instrument dans ses mains avant de le poser sur la table.
— La porte a-t-elle vraiment dû être forcée ? demanda-t-il.
— J’étais là ! s’exclama le prieur. Ainsi que Hamo, Aelfric et frère Dunstan. Nous sommes allés tout droit vers le corps de l’abbé.
— Personne ne s’est éloigné ? insista le clerc.
— Bien sûr que non ! Ce spectacle nous a bouleversés.
Corbett baissa les yeux sur la dague et tenta de dissimuler son embarras. Avant le début de la réunion, il avait inspecté avec soin la chambre et les extérieurs. La porte était verrouillée et la fenêtre close. Comment quelqu’un avait-il pu s’introduire céans ?
— Et aucun d’entre vous, questionna-t-il en formulant ce qui le préoccupait, ne sait comment l’assassin est entré dans cet appartement ni comment il en est sorti ?
Tous les moines firent un geste de dénégation. Corbett saisit un éclair de triomphe dans les yeux du prieur Cuthbert. « Vous savez que je suis piégé, pensa-t-il, et que je ne trouve pas d’explication à tout ceci. » Il regarda la porte. Le chêne en était massif, l’extérieur renforcé par des clous de métal et les gonds de cuir épais. Il aurait fallu des heures pour la déposer.
— Et si quelqu’un était passé par la fenêtre ? avait suggéré Chanson. Puis, quand l’huis a été forcé, avait profité du désordre qui s’est ensuivi pour la refermer ?
Ranulf, qui, en d’autres temps, avait été un larron à Londres, avait déclaré qu’il était en fait impossible d’escalader le mur abrupt. Et, bien entendu, il y avait un autre problème...
— Le père abbé se portait-il bien ? s’enquit Corbett.
— Oh, oui ! C’était un homme vigoureux et en bonne santé.
Le magistrat sourit.
— Alors, vous savez, n’est-ce pas, ce que je vais dire ? Votre abbé était un ancien chevalier banneret, un combattant, un soldat. Il avait l’habitude des estocades pendant les batailles. Un homme de ce genre aurait chèrement défendu sa vie, non ?
Un bruit l’arrêta. Perditus était assis, tête basse, les mains dans son giron, les épaules secouées de sanglots.
— L’abbé Stephen aurait résisté. Il y aurait eu des cris, du vacarme, du tumulte. Frère Perditus, votre chagrin me navre, mais avez-vous le sommeil léger ?
— J’aurais ouï ce tohu-bohu !
Corbett changea de position sur sa chaire ; il lança un coup d’oeil vers Ranulf qui prenait des notes en utilisant le code que lui avait enseigné son
Weitere Kostenlose Bücher