Funestes présages
soit !
Il se leva, tourna le dos à l’assemblée, se dirigea vers la grande fenêtre en saillie et regarda dans la cour.
— Corrigez-moi si je me trompe, mais j’ai cru comprendre qu’il y a quatre jours, mardi, veille de la fête de saint Léon le Grand, l’abbé Stephen n’est point descendu à l’église pour chanter matines. Est-ce exact ?
Cuthbert acquiesça.
— Vous, frère Perditus, étiez le serviteur de l’abbé. Avait-il l’habitude de manquer les heures des offices divins de temps à autre ?
— Il était souvent occupé et parfois distrait, répondit le frère lai. La matinée s’avançant et l’abbé Stephen n’apparaissant pas, je me suis inquiété. J’ai frappé à sa porte et essayé de manoeuvrer la poignée du loquet, mais impossible. Je suis allé rendre compte à Messire le prieur.
Corbett regagna le centre de la pièce et posa les mains sur le dossier de sa chaire.
— Que s’est-il passé ensuite ?
Le prieur désigna l’huis par-dessus son épaule.
— Nous avons forcé la serrure. Puis nous sommes entrés : l’abbé Stephen était assis dans sa chaire, un peu affaissé, la tête inclinée de côté. Le poignard avait été enfoncé (il montra l’endroit sur son corps) là, juste au-dessus de l’estomac. Profondément, presque jusqu’à la garde.
— Il était manifeste, déclara frère Aelfric, que l’abbé était mort, et depuis quelque temps déjà.
— Et la porte était bien close ? insista Corbett.
Il alla l’examiner. Il constata qu’on l’avait reposée sur de nouveaux gonds de cuir. Le charpentier avait aussi réparé le loquet intérieur, le verrou et les moraillons en haut et en bas.
— Bien sûr, qu’elle l’était ! s’indigna le prieur en se retournant à moitié sur son siège.
Il était irrité d’être questionné comme un criminel, pendant que ce clerc au pied léger se promenait dans la chambre de l’abbé et que son écuyer roux notait avec grand soin les moindres paroles échangées. De temps à autre Ranulf levait la tête. Cuthbert n’aimait ni son petit sourire ni ses yeux aux lourdes paupières qui semblaient se gausser de lui, comme s’il mettait en doute tout ce qu’il voyait ou entendait.
— Continuez ! ordonna Corbett.
— Nous avons emporté la dépouille.
— Et comment était la pièce elle-même ?
— Il y avait des documents sur la table, et le feu était presque éteint. L’abbé Stephen avait bu du vin, mais, hormis une flaque de sang sur le plancher...
— Il y avait aussi ceci, déclara le magistrat en brandissant un morceau de vélin.
— Ah, c’est vrai, concéda Cuthbert avec un sourire contraint.
Corbett retourna le parchemin.
— Regardez. Que signifie cette roue ? Je l’ai vue sur maints écrits de l’abbé.
— C’était juste un dessin qu’il affectionnait.
Le clerc examina derechef la note.
— Et ces citations ? Elles sont toutes deux plutôt confuses. L’une est de Saint Paul au sujet d’un miroir à travers lequel on voit confusément et de feux follets qui font signe. L’autre...
Corbett plissa les yeux.
— ... est fort connue et souvent citée par les auteurs d’écrits spirituels ; c’est une maxime de l’écrivain latin Sénèque : « N’importe qui peut ôter la vie à un homme, mais personne ne peut lui ôter sa mort. »
Il embrassa l’assemblée du regard. Tous le fixèrent, les yeux vides.
— Ce sont les derniers mots rédigés par l’abbé. Il semble avoir redouté quelque chose.
Corbett s’interrompit.
— Que voulait-il signifier par « voir dans un miroir confusément » ? Alors que la citation de Sénèque semble indiquer qu’il attendait la mort.
— Je ne sais, rétorqua le prieur avec aigreur. Sir Hugh, je ne peux dire ce que notre abbé avait en tête cette nuit-là.
— Quelqu’un le peut-il ? s’enquit le magistrat dans l’attente d’une réaction.
Personne ne répondit.
Corbett lâcha le morceau de vélin.
— Bon ! Nous parlions du sang. Était-il frais ou figé ?
— Figé, répondit sans hésiter Aelfric.
Les autres moines le confirmèrent.
— L’abbé Stephen était donc mort depuis un certain temps ?
— Bien entendu, puisque le sang était figé, souligna Hamo d’un ton sec.
— Comment vous appelez-vous ? intervint Ranulf.
— Hamo.
— Et vous êtes le sous-prieur, n’est-ce pas ?
Ranulf adressa un sourire à son maître.
— Vous connaissez et mon nom et mon
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