Funestes présages
des éléments d’une vaste conspiration due à une horde invisible de démons. Les prêtres peuvent bien évoquer les flammes de l’Enfer pour terroriser les fidèles, mais l’abbé Stephen ?...
Il hocha la tête.
— Qu’avait-il à faire avec les facultés d’Oxford ou de Cambridge, les écrits de Platon ou d’Aristote, les affaires de loi ou celles du Parlement ?
Wallasby reprenait peu à peu de l’assurance.
— Oui, je suis un juge ecclésiastique. Je siège en mon tribunal et vois des hommes comme Taverner filouter les superstitieux. Bon, Taverner, je peux sans mal en venir à bout. Mais un abbé, un grand de l’Église ? Je voulais prouver qu’il avait tort.
— Non, l’interrompit Corbett, vous vouliez lui donner une leçon. Que serait-il arrivé ? insista-t-il. L’exorcisme aurait-il échoué ? Taverner aurait-il avoué qui il était et ce qu’il faisait ? L’abbé Stephen serait devenu la risée de tous. Un sujet de quolibets dans tout le royaume. Croyez-vous que le roi en aurait été satisfait ?
L’archidiacre fit mine de protester.
— Vous auriez détruit l’abbé Stephen ! Ce qui prouve bien que vous aviez peu d’amitié pour lui.
Wallasby bondit.
— Asseyez-vous, lui ordonna Corbett. Vous êtes venu quérir la permission de partir ; je vous l’ai refusée. Je vais maintenant vous expliquer pourquoi. Vous avez engagé Taverner pour ridiculiser les théories de l’abbé Stephen. Vous êtes monté ici pour vous joindre à cette pantomime. Je ne pense pas, Messire l’archidiacre, que cela n’était qu’un exercice d’école. Cela va plus loin. Qu’était-ce ? Une méchante plaisanterie ? L’abbé Stephen bloquait-il votre carrière ? Entravait-il votre avancement ?
Corbett claqua des mains si bruyamment que son interlocuteur sursauta.
— Vous pouvez faire votre confession tout de suite, Messire. Sinon je peux vous l’arracher en présence du roi. Je veux la vérité.
— Il y a deux ans, marmonna Wallasby en essuyant ses paumes moites sur sa robe, le roi a dépêché une ambassade solennelle à Paris.
— Ah oui, c’était au sujet des négociations de mariage entre le prince de Galles et Isabelle, la fille du roi Philippe, n’est-ce pas ?
— C’est exact. L’évêque de Londres m’a choisi pour faire partie de la délégation, mais l’abbé Stephen y a mis son veto.
— S’en est-il expliqué ?
— Il faisait partie de la même ambassade. Il a déclaré que les pourparlers seraient délicats et laborieux et qu’il était par conséquent inapproprié que des hommes qui s’étaient affrontés sur des sujets spirituels soient ensemble à cette occasion.
— Vous le détestiez, murmura Corbett. Et il le savait, non ?
— Je vous fais part de mes raisons, Corbett.
L’archidiacre s’arrêta.
— Je n’aimais point l’abbé Stephen et il ne m’aimait pas. J’avais juré de lui donner une leçon.
— Et qu’est-ce qui a mal tourné ?
— Que voulez-vous... ?
— Je me demande comment les choses ont mal tourné, répéta le magistrat. À votre arrivée à St Martin, vous avez sans doute eu des conversations privées avec Taverner, loin des yeux trop curieux ou des oreilles indiscrètes. Taverner avait-il changé d’avis ? L’abbé Stephen était un bon prêtre qui l’avait reçu avec bonté. Peut-être Taverner a-t-il estimé plus profitable de gagner sa faveur en continuant à jouer les possédés plutôt que de participer à votre machination. Vous avez dû être furieux de constater que votre subtile ruse faisait eau de toutes parts. Sans le vouloir, l’abbé avait renversé la situation à son avantage et vous, à cause de votre stupidité, seriez forcé d’assister à son plus grand triomphe.
— Vous n’avez pas de preuve !
Corbett se leva et alla pousser les volets. Il ouvrit la petite grille treillissée.
— Il neige beaucoup, constata-t-il. De toute façon, je ne crois pas que vous pourriez vous rendre à Londres.
Le clerc regarda la cour et la flaque de lumière projetée par une torche posée sur son support au coin du bâtiment. Il entendit du bruit, ferma la fenêtre et se retourna. L’archidiacre se servait un gobelet de vin.
— Ne me parlez pas de preuve. J’ai raison, n’est-ce pas ?
— Oui, oui, répondit Wallasby. J’étais fort courroucé. J’ai interrogé Taverner qui a joué les saints Innocents. Il a prétendu ne m’avoir rencontré qu’une fois dans sa vie et
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