Furia Azteca
avec autant de pittoresque et d'exaltation qu'ils s'étendent sur les horreurs de l'Enfer.
J'ai l'impression que Votre Excellence, qui ne m'a d'ailleurs pas demandé
mon avis, ne se soucie pas d'entendre mes suggestions, ne serait-ce que pour les réfuter ou en discuter et qu'elle préfère prendre congé. Je sais que je ne suis qu'un chrétien débutant et je suis sans doute bien présomptueux d'émettre des idées qui n'ont pas eu le temps de m˚rir. Je vais donc abandonner ces sujets religieux pour parler d'autre chose.
Le festin des guerriers qui se tenait dans la salle des banquets de cette même Maison du Chant, la nuit de la consécration de la grande pyramide, avait aussi des connotations religieuses, mais elles étaient mineures. On croyait que lorsque les vainqueurs s'étaient repus des jambons bouillis des prisonniers sacrifiés, ils avaient, en quelque sorte, absorbé une partie de leurs forces et de leur ardeur combative. Toutefois, il était interdit à un
" père révéré " de consommer la chair de son propre " fils bien-aimé ".
C'est-à-dire que personne n'avait le droit de manger le prisonnier qu'il avait lui-même capturé, ce qui, en termes religieux, aurait été aussi inimaginable qu'un inceste. Aussi, pendant que les invités se battaient pour saisir un morceau de l'incomparable Scorpion en Armes, je devais me contenter d'un bout de cuisse d'un chevalier de bien moins grande réputation.
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La viande, Seigneurs ? Eh bien, elle était correctement épicée, bien cuisinée et accompagnée d'une multitude d'autres plats : haricots, tortillas, tomates cuites et comme boisson, du chocolat et...
…courante, la viande ? Mais non, bien au contraire. Elle était savoureuse, tendre à souhait et agréable au palais. Puisque ce sujet a l'air d'exciter votre curiosité, je vous dirai que la chair humaine a presque le même go˚t que cette viande que vous appelez porc, la chair de ces animaux que vous avez importés ici et que vous nommez les cochons. C'est d'ailleurs cette similarité de consistance et de saveur qui a suscité le bruit que les Espagnols et les cochons étaient proches parents et qu'ils propageaient leur espèce par des unions entre eux, sinon par des mariages légitimes.
Yya, ne faites pas cette tête, mes révérends ! Je n'ai jamais cru à toutes ces histoires ; je sais bien que les porcs sont des animaux domestiques de la famille des sangliers sauvages et je ne pense pas que même un Espagnol puisse s'accoupler avec l'un d'eux. …videmment, la viande de porc est bien plus savoureuse et bien plus tendre que la chair filandreuse et forte des sangliers, mais, à mon avis, cette parenté entre la viande de porc et la chair humaine est une des raisons pour lesquelles les gens de nos classes inférieures ont si rapidement pris l'habitude d'en consommer et qu'ils ont accueilli l'arrivée de ces animaux avec beaucoup plus d'enthousiasme que l'introduction de la Sainte …glise, par exemple.
Donc, les invités de ce banquet étaient presque tous des guerriers Acolhua venus à Tenochtitl‚n avec la suite de Nezahualpilli, et ce n'était que justice. Il y avait quelques symboliques chevaliers Tecpaneca et seulement trois Mexica : moi, mon supérieur immédiat, le quachic Gourmand de Sang et le Chevalier-Arc, Xococ. L'un des Acolhua était ce soldat dont on avait recousu le nez sur le champ de bataille, mais il l'avait perdu à nouveau.
Il nous raconta tristement que cette opération n'avait pas été un succès ; son nez était devenu tout noir, puis il était tombé. Nous lui assur‚mes qu'il était presque aussi bien sans cet appendice, mais comme c'était un homme
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bien élevé, il alla s'asseoir à l'écart, pour ne pas nous couper l'appétit.
Chaque invité était servi par une séduisante auinimi qui lui apportait des morceaux de chaque plat, qui bourrait et allumait les pipes, qui lui versait du chocolat et de Foctli et qui, à la fin de la soirée, se retirait avec lui dans une des petites chambres qui entouraient la salle principale.
Je vois bien que vous êtes contrariés, messieurs les scribes, mais c'est pourtant la vérité. Ce festin de chair humaine et les plaisirs charnels qui lui succédèrent se déroulèrent dans ce lieu même qui est maintenant le saint quartier général du diocèse.
Je dois avouer que je n'ai gardé de cette nuit qu'un souvenir très vague, car je venais de fumer mon premier poquietl, suivi de plusieurs autres et j'avais bu beaucoup
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