Furia Azteca
nageoires d'une tortue d'eau.
" On l'appelle la femme-tapir ", m'expliqua le vieux. Je lui fis signe de parler plus doucement. " Oh, ce n'est pas la peine de faire des manières, me dit-il. Elle dort à poings fermés ; son oil est toujours grand ouvert, car il n'a plus de paupières. De toute manière, ces tequani ont l'habitude d'entendre parler de leur cas. "
Je n'avais aucunement l'intention de parler de cette pitoyable chose. Je comprenais pourquoi on lui avait donné le nom du tapir : son nez était une masse de chair allongée et pendante qui lui cachait la bouche, si elle en avait une. Par contre je ne me serais pas rendu compte que c'était une femme si le vieux ne me l'avait dit. Sa tête n'avait rien de féminin, ni rien d'humain, du reste. On ne distinguait aucune trace de poitrine sur les cylindres de chair p‚teuse qui constituaient l'inamovible pyramide de son corps. De son oil unique, la créature me considérait.
" Le nain sans m‚choires est venu au monde ainsi, me dit l'homme. Mais ce tequani-là était une femme adulte qui a d˚ être mutilée dans un accident.
D'après son absence de jambes, on suppose qu'elle a été victime d'un instrument tranchant et également du feu, si on regarde le reste de son corps. Car, vois-tu, la peau ne br˚le pas
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forcément. Parfois, elle s'assouplit, se tend, se fond et prend la forme de... "
Soudain, je me sentis mal et je lui dis : " Par pitié, ne parlez pas devant ça... devant elle. "
" Elle ! " Le vieux émit un grognement amusé. " Toujours galant avec les dames, n'est-ce pas ? " Puis il pointa sur moi un doigt presque accusateur.
" Toi qui sors des bras d'une belle, que dirais-tu d'aller embrasser cette chose que tu appelles : elle ? "
C'en était trop, et je ne pus me retenir. Je me pliai en deux et là, juste devant ce monstrueux tas humain, je me mis à vomir tout ce que j'avais bu et mangé pendant la nuit. Lorsque je fus débarrassé et que j'eus repris mes esprits, je jetai un regard d'excuses vers l'oil qui me fixait. L'oil était-il éveillé, ou coulait-il simplement, je ne sais pas, mais je vis une larme qui glissait doucement. Mon guide avait disparu et je ne le revis pas tandis que je traversais la ménagerie pour sortir.
Mais, cette nuit, ou plutôt ce matin-là, je dus faire face à un nouveau souci. Lorsque j'arrivai devant le portail du palais, le garde m'aborda en me disant : " Mes excuses, tequia Mixtli, le médecin de la cour m'a dit de vous prévenir qu'il vous attendait et qu'il faut que vous alliez le voir avant de rentrer chez vous. "
Le garde me conduisit vers l'appartement du médecin. Je frappai et le trouvai éveillé et tout habillé. Le garde nous salua et retourna à son poste. Le médecin me considéra avec une expression de curiosité mêlée de pitié et d'une certaine onction professionnelle. L'espace d'un instant, je crus qu'il m'avait attendu pour me prescrire un remède contre le malaise que je continuais à ressentir ; mais il me demanda : " Le petit Cozcatl est bien votre esclave ? "
Je lui répondis par l'affirmative et lui demandai s'il était malade.
" II a eu un accident. Pas mortel, heureusement, mais très grave, tout de même. quand la foule a commencé à se disperser sur la place, on l'a trouvé
étendu sans connaissance à côté de la Pierre de la Bataille. Il s'est peut-
être trop approché des combattants. "
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Je n'avais pas eu une seule pensée pour Cozcatl depuis le moment o˘ je l'avais chargé de guetter le moindre signe de la présence de Chimali.
" Alors, Docteur, il est blessé ? lui demandai-je.
- Oui. Une vilaine blessure, et bien étrange par-dessus le marché. " Sans me quitter des yeux, il ramassa un linge taché sur une table, le déplia et me montra ce qu'il contenait : un sexe de petit garçon, avec son sac d'olol-tin, mou et livide.
" Comme un pois, murmurai-je.
- Comment ? me demanda le médecin.
- Vous avez dit que cette blessure n'était pas mortelle ?
- Vous ou moi serions peut-être d'avis qu'elle l'est, me répondit-il sèchement. Mais le garçon n'en mourra pas. Il a perdu beaucoup de sang et d'après les coups qu'il a reçus et d'autres marques qu'il a sur le corps, il semble qu'il ait été violemment bousculé, peut-être par une foule turbulente. Néanmoins, il vivra et espérons qu'il ne regrettera pas trop ce qu'il a perdu puisqu'il n'a pas encore eu le temps d'en apprécier la valeur. La blessure a été proprement faite. Il guérira dans le
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