Furia Azteca
quelques batailles. Ce n'est qu'une question d'habitude.
- Je ne parle pas des combats, mais des commémorations qui leur font suite.
Pour l'instant je me sens... " J'éructai violemment.
" Ta première cuite, me dit-il en riant. On s'y habitue aussi, tu verras.
On finit même souvent par y prendre plaisir et par en redemander.
- Pas pour moi, répondis-je. J'ai eu trop de premières expériences à la fois. Maintenant j'aimerais avoir un peu de tranquillité, une vie sans incident, sans agitation et sans contrariété. Je pense pouvoir décider Ahuizotl à m'engager comme scribe au palais.
- Du papier et des couleurs, me dit-il d'un ton méprisant. Ce sont des travaux que tu auras bien le temps de faire quand tu seras vieux et tordu comme moi, Mixtli. Garde ça pour le moment o˘ tu seras seulement capable d'écrire tes mémoires. En attendant, fais collection d'aventures et d'expériences^dont tu puisses te souvenir. Je te conseille vivement de voyager. Va dans des pays lointains, rencontre de nouvelles gens, délecte-toi de mets exotiques et go˚te à tous les types de femmes. Au fait, la dernière fois que nous nous sommes rencontrés en ce lieu, tu n'avais pas été voir les tequani. Viens par ici. "
II ouvrit une porte et nous pénétr‚mes dans la salle 334
des " animaux humains ", des monstres et des avortons. On ne les avait pas mis en cage, comme les autres bêtes. Ils vivaient dans ce qui aurait pu être une petite chambre particulière assez confortable, si elle n'avait pas eu seulement trois murs, pour que les visiteurs puissent regarder à
l'intérieur et voir à quelles activités se livraient ces malheureux tequani pour occuper leur existence vide et inutile. A cette heure, ils dormaient tous sur leur grabat. Il y avait des hommes et des femmes entièrement blancs - y compris les cheveux et la peau - qui paraissaient aussi impalpables que l'air. Il y avait aussi des nains, des bossus et des créatures tordues dans des positions encore plus épouvantables.
" Comment sont-ils arrivés ici ? " demandai-je à voix basse.
L'homme me répondit sans baisser le ton : " Ils viennent ici de leur plein gré, quand ils ont été estropiés accidentellement. Si ce sont des monstres de naissance, leurs parents les amènent. quand un tequani se vend lui-même, la somme est versée à sa famille ou à la personne qu'il a désignée et l'Orateur Vénéré paie largement. Certains parents en arrivent à souhaiter de mettre au monde un monstre pour devenir riches. Un tequani ne peut jouir personnellement de sa fortune, puisqu'on lui procure ici tout le confort dont il a besoin jusqu'à la fin de ses jours. Certains, parmi les plus contrefaits, co˚tent des sommes fabuleuses. Ce nain, par exemple. "
Le nain en question dormait et je fus bien content de ne pas le voir éveillé, car il n'avait qu'une moitié de tête. A partir de la m‚choire supérieure aux dents crochues jusqu'aux clavicules, il n'y avait plus rien ; pas de m‚choire inférieure, pas de peau, rien qu'une trachée artère blanche et à nu, des muscles rouges, des vaisseaux et un gosier qui s'ouvrait derrière ses dents, entre deux petites joues rebondies. Il était étendu, son affreuse moitié de tête rejetée en arrière et respirait en émettant des gargouillis et des sifflements.
" II ne peut ni m‚cher, ni avaler, m'informa mon guide. Aussi il faut lui enfourner les aliments dans le gosier. Comme il est obligé de rejeter la tête en arrière pour qu'on le nourrisse, il ne voit pas ce qu'on lui 335
donne, et il y a des visiteurs qui lui font de méchantes farces. Certains lui offrent de ces fruits piquants, que vous nommez figues de Barbarie, ou bien des purges violentes ou pis encore. Il a failli mourir à plusieurs reprises, mais il est si gourmand et si bête qu'il continue à rejeter la tête à chaque fois que quelqu'un fait mine de lui tendre quelque chose. "
Je frissonnai d'horreur et m'avançai vers la cage suivante. Le tequani qui l'occupait n'avait pas l'air de dormir, car son unique oil était ouvert. A la place de l'autre, il n'y avait que de la peau toute lisse. Il n'avait pas de cheveux et pas de cou ; sa tête s'enfonçait directement dans d'étroites épaules qui s'élargissaient en un torse conique posé sur une base enflée, aussi solidement qu'une pyramide et il n'avait pas de jambes non plus. Ses bras étaient à peu près normaux, mais les doigts de ses mains étaient soudés les uns aux autres comme les
Weitere Kostenlose Bücher