Furia Azteca
votre fils Mixtli à partir de cette journée. "
Mon père se retourna. Près de son épaule et guère plus haut qu'elle, se tenait un homme qui ressemblait lui-même à un grain de cacao. Il n'était vêtu que d'un pagne sale et en loques et sa peau avait la couleur du cacao : un brun si foncé qu'il en devenait pourpre. Son visage était froissé et ridé comme le grain. Il avait d˚ être plus grand autrefois, mais il était courbé, vo˚té et rétréci par un ‚ge que personne n'aurait été
capable de lui donner. quand j'y pense, je crois qu'il devait ressembler à
ce que je suis maintenant. Il leva une main simiesque, la paume vers le haut et répéta : " Rien que deux grains. "
Mon père secoua la tête et répondit poliment : " quand je veux savoir l'avenir, je vais voir un devin. "
L'homme vo˚té demanda : " Est-ce que vous avez déjà vu un de ces devins reconnaître tout de suite en vous un maître carrier de Xaltoc‚n ? "
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Mon père parut surpris et balbutia : " Vous êtes un devin. Vous avez une double vue. Alors pourquoi...
- Pourquoi suis-je en haillons et pourquoi je tends la main ? Parce que je dis la vérité et les gens n'apprécient pas la vérité. Les devins mangent des champignons sacrés et ils rêvent pour vous parce qu'ils peuvent demander plus cher pour des rêves. Il y a de la poussière de chaux incrustée sur vos articulations, mais vous n'avez pas sur les paumes les durillons que donnent le marteau de l'ouvrier ou le ciseau du sculpteur.
Vous voyez bien ? La vérité est si bon marché que je peux même la donner pour rien. "
Je me mis à rire et mon père aussi. " Vous êtes un vieux drôle. Mais nous avons à faire ailleurs.
- Attendez ", insista l'homme. Il se pencha pour scruter mon regard et il n'eut pas à se baisser beaucoup. Je le regardai droit dans les yeux.
On aurait pu penser que la vieille fripouille rôdait autour de nous quand mon père m'avait acheté la neige parfumée, qu'il l'avait entendu parler de mes sept ans et qu'il nous avait pris pour de prodigues paysans faciles à
flouer. Mais bien plus tard, quand les événements me forcèrent à me remémorer les paroles exactes qu'il avait prononcées...
Il me regarda dans les yeux et murmura : " Tout devin peut voir les chemins et les jours. Même s'il prédit une chose qui va vraiment se produire, elle est loin dans l'espace et dans le temps et elle ne profitera, ni ne nuira jamais au devin lui-même. Le tonalli de ce garçon est de regarder de près les choses de ce monde, de les voir comme elles sont et de comprendre ce qu'elles signifient. "
II se redressa. " Tu croiras d'abord que c'est un handicap, mon garçon, mais ta courte vue t'aidera à discerner des vérités que ceux qui voient loin dédaignent. Si tu sais profiter de ce don, il pourra t'apporter grandeur et richesse. "
Mon père soupira d'un air résigné et fouilla dans son sac,
" Non, non, dit l'homme. Je n'ai pas prédit à votre fils fortune et gloire, je ne lui ai pas promis la main
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d'une belle princesse, ni qu'il serait le fondateur de quelque noble lignée. Ce garçon saura voir la vérité, pour ça, oui. Malheureusement, il révélera cette vérité, ce qui fait plus souvent pleuvoir les calomnies que les récompenses. Pour une prédiction aussi ambiguÎ, mon maître, je ne réclame aucun salaire.
- Prenez quand même ça, lui dit mon père, en glissant dans sa main un seul grain de cacao, et ne nous prédisez plus rien d'autre, vieillard. "
Dans le centre de la ville, il y avait peu d'activité commerciale, mais tous les citoyens qui n'étaient pas pris par des affaires urgentes, commençaient à se rassembler sur la grand-place pour la cérémonie dont mon père avait entendu parler. Il demanda à un passant quelle en était la cause et celui-ci lui répondit :
" Mais voyons, c'est pour la consécration de la Pierre du Soleil ; pour célébrer l'annexion de Tlatelolco. " La plupart des participants étaient des gens du peuple, comme nous, mais il y avait également assez de nobles pilli pour peupler une ville importante rien qu'avec des nobles. Nous avions fait exprès d'arriver de bonne heure. Bien qu'il y e˚t déjà plus de gens sur la vaste place qu'il n'y a de poils sur le dos d'un lapin, elle n'était pas tout à fait pleine et il y avait encore assez d'espace pour circuler et voir ce qui en valait la peine.
En ce temps-là, la place centrale de Tenochtitl‚n - In Cem-Anahuac Yoyotli, le Cour du Monde Unique
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