Furia Azteca
- n'avait pas la stupéfiante splendeur que je lui connaîtrais par la suite. On n'avait pas encore construit autour le Mur du Serpent. Axayacatl, notre Orateur Vénéré, vivait encore dans le palais de son défunt père Motecuzoma, pendant que sa future demeure était en construction de l'autre côté de la place. La nouvelle Grande Pyramide, entreprise par Motecuzoma Ier, était toujours inachevée. Ses murs de pierre inclinés et ses escaliers aux rampes en forme de serpents montaient bien au-dessus de nos têtes et, à l'intérieur, on voyait poindre le sommet de l'ancienne pyramide, plus petite, qui se trouvait ainsi enfermée et rehaussée.
Mais pour un petit campagnard comme moi, cette
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place était déjà bien impressionnante. Mon père me raconta qu'il l'avait traversée une fois en ligne droite en la mesurant de ses pas ; elle en faisait presque exactement six cents. Cette immense place - près de six cents pieds d'homme, du nord au sud et d'est en ouest - était pavée de marbre encore plus blanc que le calcaire de Xaltocan et qui avait le poli, la douceur et l'éclat d'un miroir tezcatl. Bien des gens qui avaient des sandales à semelles de cuir très glissantes, étaient obligés de les ôter et de marcher pieds nus.
Les trois principales avenues de la ville, assez larges pour que vingt hommes puissent y marcher de front, partaient de cette place en direction du nord, de l'ouest et du sud, pour devenir ensuite les trois grandes chaussées qui conduisaient à la terre ferme. A l'époque, il n'y avait pas sur la place autant de temples, d'autels et de monuments que par la suite, mais il y avait déjà de modestes teocalli avec les statues des principaux dieux. On voyait aussi les casiers ouvragés dans lesquels étaient exposés les cr‚nes des xochimiqui les plus remarquables qui avaient été sacrifiés aux dieux. Il y avait également le terrain de jeu de balle du tlatoani o˘
se disputaient les jeux rituels de tlachtli.
Il y avait aussi la Maison du Chant qui renfermait des logements confortables et des salles de répétition pour les musiciens, les chanteurs et les danseurs de renom qui se produisaient sur la place au cours des fêtes religieuses. Contrairement à tous les autres édifices, la Maison du Chant ne fut pas entièrement démolie avec le reste de la ville. Elle a été
restaurée et c'est maintenant le quartier général et la résidence temporaire de Monseigneur l'Evêque, en attendant que soit terminée votre cathédrale Saint-François. C'est dans une des pièces de cette Maison du Chant que nous sommes en ce moment, Messieurs les scribes.
Mon père pensait, à juste raison, que les problèmes d'architecture et de religion n'avaient guère de chance de captiver un enfant de sept ans, aussi m'emmena-t-il vers un édifice situé au coin sud-est de la place. Il abritait la collection d'animaux et d'oiseaux sauvages du Uey tlatoani, qui n'avait pas encore, non plus, l'impor-75
tance qu'elle prendrait ensuite. Elle avait été commencée par le défunt Motecuzoma, dans le but de montrer au public un spécimen de chaque espèce existant dans toutes les régions du pays. Ce b‚timent comptait d'innombrables salles - certaines n'étant que des cabinets et d'autres de grandes pièces - et un flot continuel déversé par des baquets d'eau puisée dans un canal voisin balayait les détritus de toutes les salles. Chacune s'ouvrait sur un passage destiné aux visiteurs, mais elle en était séparée par un filet et même, dans certains cas, par de solides barreaux de bois.
Il y avait une salle particulière pour chaque animal, ou pour plusieurs espèces susceptibles de vivre ensemble à l'amiable.
" Est-ce qu'ils font toujours autant de bruit ? ", hurlai-je à mon père, par-dessus les vociférations, les glapissements et les rugissements.
" Je ne sais pas, me répondit-il. Certains sont affamés, parce qu'on ne les a pas nourris, volontairement, depuis quelque temps. Il va y avoir des sacrifices pendant la cérémonie et les restes seront apportés ici pour que le jaguar, les chats sauvages, les coyotes et les vautours zopilotes les mangent. "
J'étais en train de contempler l'animal le plus gros de nos régions -
l'affreux tapir, lourd et massif, remuant devant moi sa trompe préhensile -
quand j'entendis une voix familière : " Maître Carrier, pourquoi ne montrez-vous pas à votre fils la salle des tequani ? "
C'était l'homme sombre et vo˚té que nous avions rencontré
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