Furia Azteca
rêve ne se termine.
Je m'en souviens encore...
Une fois, pendant notre voyage au Michoac‚n, elle avait vu une fleur étrange qui poussait dans une fente de rocher, au-dessus de nous. Elle l'avait trouvée belle et en aurait voulu une pour la planter dans son jardin. J'aurais pu facilement grimper pour aller la lui chercher...
Une autre fois, un jour ordinaire, elle s'était réveillée, pleine d'amour pour la vie, ce qui lui arrivait fréquemment. Elle avait inventé une petite chanson et elle la chantait doucement pour la fixer dans sa mémoire. Elle m'avait demandé de lui acheter une de ces fl˚tes qu'on appelle eaux gazouillantes, pour jouer sa chanson. Je lui avais répondu que lorsque je verrais un musicien de mes amis, je le prierais de m'en fabriquer une.
Mais, j'avais oublié et elle, voyant que j'avais d'autres choses en tête, ne me l'avait jamais rappelé.
Et un jour...
Ayyo, tant de fois...
Je sais bien qu'elle n'a jamais douté de mon amour, mais pourquoi ai-je laissé échapper des occasions de le lui montrer ? Elle me pardonnait mes oublis et mes petites négligences ; elle devait les oublier aussitôt, ce qui n'a jamais été mon cas. Toute ma vie, je me suis souvenu d'une chose ou d'une autre que j'aurais pu faire et que je n'ai pas faite et l'occasion ne s'en retrouvera plus, alors qu'au contraire, des faits que j'aurais voulu garder en mémoire persistent à me fuir. Si au moins je me rappelais les paroles ou simplement l'air de sa petite chanson, je pourrais me la fredonner de temps en temps ou
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encore, si je savais ce qu'elle m'avait dit quand le vent emporta ses paroles, la dernière fois que je l'ai vue...
quand tous les sinistrés retournèrent dans l'île, il y avait tant de ruines que, dans ma rue, on ne distinguait plus les maisons qui s'étaient écroulées avec la première vague de celles qui avaient succombé à la seconde. Des ouvriers et des esclaves étaient déjà en train de déblayer les décombres en mettant de côté les blocs de calcaire intacts qui pouvaient servir. Jamais on ne trouva le corps de Zyanya, ni la moindre trace d'elle, pas une bague, pas une sandale. Elle a disparu aussi irrémédiablement que sa petite chanson. Mais je sais, Seigneurs, je sais qu'elle est quelque part, bien qu'on ait b‚ti, depuis, deux villes successives sur sa tombe ignorée. J'en suis s˚r, parce qu'elle n'avait pas le petit morceau de jade qui assure le passage dans l'au-delà.
Souvent, la nuit, j'ai parcouru les rues en appelant doucement son nom. Je le faisais à Tenochtitl‚n, je le fais encore à Mexico. J'ai vu bien des apparitions, mais jamais la sienne.
Je n'ai rencontré que des esprits malheureux ou malintentionnés qui ne pouvaient être Zyanya - elle qui avait été heureuse toute sa vie et qui est morte en voulant rendre service. J'ai vu et reconnu bien des guerriers mexica défunts. La ville grouille de ces spectres désolés. J'ai vu la Femme qui pleure ; on aurait dit une langue de brouillard à la dérive en forme de femme et j'ai entendu son sinistre gémissement. Elle ne m'a pas fait peur et je l'ai plainte, car moi aussi, je sais ce que c'est que de perdre quelqu'un. En voyant que ses cris ne m'éloignaient pas, c'est elle qui a fui mes paroles de consolation.
Parfois, il m'est arrivé, dans des rues sombres et désertes, d'entendre le rire joyeux de Zyanya. C'est peut-être le fruit de mon imagination sénile, mais ce rire était accompagné, à chaque fois, d'un éclair de lumière dans les ténèbres, pareil à la mèche p‚le de ses cheveux noirs ; à moins que ce soit encore un tour de mes pauvres yeux, car cette vision disparaît dès que je prends ma topaze. Néanmoins, je sais qu'elle est là, quelque part, 646
je n'ai pas besoin de preuve pour en être s˚r, tout en souhaitant ardemment en avoir une.
Je vous en supplie, Seigneurs révérends, si l'un d'entre vous rencontre Zyanya, une nuit, qu'il veuille bien me le dire. Vous la reconnaîtrez tout de suite et vous ne pourrez avoir peur d'une si jolie apparition. Elle aura l'air d'avoir vingt ans, comme alors, car au moins, la mort lui aura épargné les maux et le dessèchement de' la vieillesse. Vous reconnaîtrez son sourire, car vous ne pourrez vous empêcher d'y répondre. Si elle vous parle...
C'est vrai, vous ne comprendrez pas ses paroles. Dites-moi seulement si vous la voyez. Elle marche dans la ville, je le sais. Elle y est et elle y sera toujours.
IHS
* A.I.M.C.
A Son Auguste
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