Furia Azteca
presque à crier : " Je suis l'Orateur Vénéré du Monde Unique et je ne dis pas oui ou non, dieux ou hommes, avant d'avoir cherché, vu et attendu des preuves ".
Pensant que Motecuzoma venait ainsi de me donner congé, je sortis à
reculons en baisant plusieurs fois le sol et, après m'être débarrassé de ma grossière défroque,
-je rentrai chez moi.
864
Motecuzoma m'avait dit qu'il attendrait d'avoir la certitude que ces êtres étaient des dieux ou des hommes et c'est ce qu'il fit. Il attendit, il attendit trop longtemps et jamais ne fut réellement persuadé. Pour s'être cantonné dans cette indétermination, il mourut tragiquement et l'ordre ultime qu'il tenta de donner à son peuple commençait par ce mot " Mixchia !
" Je le sais, j'étais présent ; la dernière parole qu'ait jamais prononcée Motecuzoma était " Attendez ! "
Cette fois, Béu Ribé ne fît rien pour g‚cher mon retour à la maison. Sa chevelure était maintenant naturellement parsemée de gris, mais elle avait teint ou coupé ce qui aurait pu subsister de sa mèche décolorée. Elle n'essayait plus d'être le double de sa sour défunte et cependant elle était devenue totalement différente de celle que je connaissais depuis près d'un demi-faisceau d'années, depuis le jour o˘ je l'avais vue pour la première fois à Tehuantepec. Il m'avait semblé que depuis ce temps, nous n'avions cessé de nous quereller et de nous battre, ou au mieux, de maintenir une sorte de trêve embarrassée. Cette fois, j'avais l'impression qu'elle avait décidé qu'il fallait que nous nous comportions comme un vieux couple paisible. Je n'ai jamais su au juste si son attitude était due à la correction que je lui avais infligée précédemment ou au désir de se faire bien voir des voisins, ou encore si elle s'était résignée à entrer dans l'‚ge de jamais en se disant : " Jamais plus de querelles entre nous. "
quoi qu'il en soit, cela me facilita grandement ma réadaptation à la vie sédentaire. Autrefois, même au . temps o˘ Zyanya et Nochipa étaient encore de ce monde, quand je rentrais chez moi, j'avais toujours la perspective de repartir vers de nouvelles aventures, mais cette fois, mon retour me semblait définitif. Si j'avais été plus jeune, je me serais rebellé contre cette idée et j'aurais trouvé rapidement des raisons de m'en aller. Si j'avais été pauvre, j'aurais été obligé de me remuer pour gagner ma vie et si Béu avait continué à se comporter en
865
mégère, j'aurais saisi n'importe quel prétexte pour prendre le large. Je parvins même à me persuader que j'avais mérité le repos et la vie facile que m'offraient ma fortune et ma femme. Aussi, peu à peu, je me laissai aller dans une routine qui, pour n'être ni gratifiante ni exigeante, me tenait cependant occupé, chose qui aurait été impossible si Béu n'avait pas changé. quand je dis qu'elle avait changé, c'est simplement qu'elle avait réussi à dissimuler l'aversion et le mépris qu'elle ressentait à mon endroit car elle ne m'a jamais donné de raisons de croire que ces sentiments s'étaient éteints. Elle cessa seulement de les laisser paraître et cette petite comédie suffit à assurer ma tranquillité. Elle devint douce et soumise comme la plupart des épouses et d'un certain côté, je regrettais la femme fière et emportée que j'avais connue tout en étant soulagé de ne pas avoir à affronter son difficile caractère. quand elle eut étouffé sa forte personnalité pour se transformer en une femme toute de déférence et de sollicitude, je pus, à mon tour, la traiter avec une égale courtoisie.
Elle ne tenta plus une seule fois de me provoquer par sa féminité et jamais elle ne se plaignit que nous fassions chambre à part, ce dont je me félicite. En effet, mon refus aurait perturbé cet équilibre que nous avions fini par établir entre nous, car jamais je n'aurais pu me résoudre à en faire vraiment ma femme. C'est bien triste à dire, mais Béu était aussi vieille que moi et elle paraissait son ‚ge. De cette beauté qu'elle avait eue, peu de choses subsistaient, à part ses yeux magnifiques que je voyais d'ailleurs rarement car dans son nouveau rôle d'épouse soumise, elle les gardait modestement baissés.
Jadis, ses yeux me transperçaient et son ton était souvent moqueur et plein de défi. Maintenant, elle parlait peu et toujours d'une voix douce. quand je partais, le matin, elle me demandait : " Faut-il te garder ton repas, mon
Weitere Kostenlose Bücher