Furia Azteca
insultaient mes frères.
J'eus particulièrement honte en participant aux interrogatoires répétés de Cuauhtemoc auquel Cortés ne manifestait plus aucun égard. L'ancien Uey tlatoani répondait inlassablement :
" La seule chose que je sache, Capitaine Général, c'est que mon prédécesseur Cuitlahuac a laissé le trésor dans le lac o˘ vous l'avez jeté.
"
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A cela Cortés répliquait : " J'y ai envoyé mes meilleurs plongeurs ; ils n'ont trouvé que de la boue. "
Alors, Cuauhtemoc lui rétorquait : " La boue est molle. Vos canons ont fait trembler tout le lac ; le trésor se sera enfoncé profondément dans la vase.
"
quelle honte aussi, le jour o˘ je dus assister à la séance de " persuasion
" de Cuauhtemoc et de deux Anciens du Conseil ! Comme ceux-ci lui répondaient invariablement la même chose, Cortés entra dans une violente fureur. Il donna l'ordre à ses soldats d'aller chercher trois grands récipients pleins de braises et il obligea les trois seigneurs mexica à y mettre leurs pieds nus tandis qu'il continuait à leur poser la même question mais eux, serrant les dents, lui firent obstinément la même réponse. A la fin, Cortés renonça et quitta la pièce. Les trois seigneurs sortirent prudemment leurs ^ pieds des braises et, claudiquant sur leurs membres meurtris, et se soutenant mutuellement, ils regagnèrent lentement leurs appartements. J'entendis alors l'un des vieillards dire :
" Ayya, Seigneur Orateur, pourquoi ne lui avez-vous pas raconté une histoire ? N'importe quoi. Je souffre atrocement.
- Taisez-vous, coupa Cuauhtemoc. Croyez-vous que je marche dans un jardin de délices ? "
Tout en haÔssant Cortés, je me gardai^ bien de faire un acte ou une remarque qui aurait pu lui déplaire et compromettre ma délicate position.
En effet, dans un an ou deux, beaucoup de mes compatriotes prendraient
. volontiers ma place comme collaborateur de Cortés et ils en seraient parfaitement capables. De plus en plus de
|,Mexica se dépêchaient d'apprendre l'espagnol et de se ire baptiser. Ils le faisaient moins par servilité que par ambition ou même par nécessité.
Cortés avait promulgué une loi disant qu'aucun " Indien " ne pourrait occuper
^e position supérieure à celle de simple travailleur s'il
-n'était pas chrétien et capable de parler la langue des conquérants.
quelques nobles succombèrent à la tentation. L'ancien Femme-Serpent, par exemple, prit le nom de Don Juan
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Tl‚cotl Vel‚squez, mais la plupart des nobles de jadis dédaignèrent la religion et le langage des Blancs.
Tout admirable que f˚t leur attitude, je pense qu'ils eurent tort, car il ne leur resta rien d'autre que leur fierté. Les gens des classes inférieures et même les esclaves, assiégèrent les chapelains et les missionnaires pour être baptisés. Ils donnèrent leurs filles et leurs sours aux soldats espagnols pour qu'ils leur apprennent leur langue. Ainsi, les médiocres et les rebuts de la société se libérèrent des corvées et se virent confier la surveillance de ceux qui, autrefois, avaient été leurs supérieurs, voire leurs maîtres. Ces " faux Blancs " comme on les appelait, accédèrent à des postes dans l'administration de la cité et même, on les mit parfois à la tête de petites villes ou de provinces insignifiantes.
Ces hommes devinrent des tyrans. Alors que ce renversement total de notre société ne m'affectait pas physiquement, j'étais troublé par la pensée que ces " faux Blancs " allaient devenir ceux qui écriraient notre Histoire.
Pour me justifier un peu de m'être fait une place dans la société de la Nouvelle-Espagne, je pourrais dire qu'il m'arrivait parfois de me servir de ma fonction pour aider mes semblables. quand Malint/in ou un autre des nouveaux interprètes n'était pas là, je formulais ma traduction de façon à
donner plus de poids à une supplique, ou à adoucir un ch‚timent. Pendant ce temps, comme je bénéficiais du gîte et du couvert gratuitement, je mettais mes émoluments de côté en prévision du jour o˘ je perdrais mon emploi. En fait, c'est de mon plein gré que je quittai ma fonction.
Trois ans après la Conquête, Cortés commença à s'impatienter de la routine de sa besogne d'administrateur. La ville de Mexico était pratiquement reconstruite et un millier d'Espagnols environ, souvent accompagnés de leur femme, venaient chaque année s'installer dans la région des lacs, recréant leur petite Espagne sur nos
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