Galaad et le Roi Pêcheur
Gauvain, permets-moi de ne rien tenter, puisque Lancelot lui-même y a renoncé. C’est en vain que je mettrais la main sur cette épée, car Lancelot est meilleur chevalier que moi. – Je te demande d’essayer quand même ! reprit le roi, non pour t’adjuger l’épée, mais pour satisfaire mon bon plaisir ! » À contrecœur, Gauvain s’approcha du perron, saisit l’épée par la poignée et tira violemment, mais ses efforts demeurèrent vains : l’épée resta fichée comme auparavant. « Beau neveu, dit Arthur, je te remercie d’avoir obéi à mon commandement. » Lancelot intervint alors : « Plaise au Ciel que rien ne t’arrive de fâcheux, Gauvain, dit-il. J’aurais préféré que le roi t’épargnât ce geste… – Moi aussi, répondit Gauvain, mais je n’y peux rien. Au risque d’y perdre la vie, je me serais incliné, puisque telle était la volonté du roi. » En entendant ces paroles, Arthur se repentit d’avoir obligé son neveu à tenter l’épreuve.
Mais il voulait toujours savoir si les présages ainsi manifestés n’étaient pas des leurres diaboliques. Il regarda autour de lui, cherchant qui, de tous ses compagnons rassemblés là, pourrait à son tour tenter derechef l’épreuve. Visiblement, aucun d’entre eux ne désirait s’y risquer. « Perceval ! Perceval ! dit enfin le roi, serais-tu assez audacieux pour essayer à ton tour ? – Oui, répondit Perceval. Mais je ne le ferai ni pour prendre l’épée, ni même pour t’obéir, seigneur roi. Je le ferai pour partager le sort de Gauvain que tu as contraint à agir contre son gré. » Là-dessus, il se pencha, saisit le pommeau de l’épée, et tira à lui de toutes ses forces.
En vain, car l’épée ne bougea pas d’un cheveu. Perceval se redressa et alla se placer près de Gauvain. Arthur eut soudain mauvaise conscience. Force lui était d’admettre la véracité de l’inscription : le héros capable de retirer l’épée du perron ne se trouvait pas au nombre de ses compagnons. « Roi, dit alors Kaï, tout cela est concluant. Je doute qu’aucun d’entre nous soit assez fou pour insister. Mieux vaudrait nous en retourner à table. – Tu as raison », dit le roi, et il entraîna les autres vers la forteresse, abandonnant le perron où il se trouvait, sur la rive, avec la belle épée flamboyant au soleil.
Après avoir fait sonner le cor, Arthur s’assit à sa place, à la Table Ronde. Ce jour-là, c’étaient quatre rois couronnés qui servaient, et avec eux tant de nobles seigneurs que c’était merveille de voir cette assemblée. Et quand chacun se fut assis, il se trouva que tous les compagnons de la Table Ronde étaient venus. Tous les sièges étaient occupés, hormis celui qu’on appelait le Siège Périlleux {8} .
2
Le Bon Chevalier
Le premier service était à peine achevé qu’il advint, dans la grande salle de Kamaalot, une merveilleuse aventure : les portes et les fenêtres se fermèrent d’elles-mêmes, sans que nul y eût mis la main, et sans que la salle s’en trouvât obscurcie. Les chevaliers en furent tout ébahis, et le roi Arthur s’exclama : « Par Dieu tout-puissant ! Nous avons vu, seigneurs, des choses étranges aujourd’hui, dans la forêt, sur le rivage et ici même. Mais je crois que ce soir, nous en verrons de plus étranges encore. – Certes, ajouta Kaï, je crains fort que nous soyons sous le coup d’un sortilège ! – Tais-toi, Kaï ! s’emporta Arthur, et laisse les événements se produire. Ce n’est pas un sortilège qui pèse sur nous, mais la volonté de Dieu. »
À ce moment, on vit un vieillard aux cheveux tout blancs, à la longue barbe argentée, et qui portait une robe blanche immaculée. Personne ne l’avait vu entrer. Il était à pied et tenait par la main un jeune homme qui n’avait pas d’épée mais qui arborait un magnifique bouclier vermeil sur lequel était peint un cerf blanc. Lancelot, Bohort et Lionel reconnurent immédiatement en celui-ci le jeune homme que Lancelot avait armé chevalier l’avant-veille dans le monastère de la forêt.
Une fois parvenu au milieu de la salle, le vieillard s’écria d’une voix forte : « Que la paix soit avec vous tous ! » Arthur était trop saisi d’étonnement pour rien répondre, mais le vieillard, sans s’occuper de lui, lâcha la main du jeune homme et lui désigna d’un geste le bouclier qu’avait apporté la Demoiselle Chauve et qui demeurait suspendu au pilier
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