Game Over - L’histoire d’Éric Gagné
tenter de capter la balle mais elle était hors de sa portée. En voyant la balle lui échapper, jâai tout de suite su que Gonzalez allait croiser le marbre et que ma séquence de sauvetages consécutifs venait de prendre fin.
Je venais de commettre un sabotage.
Pendant que le coureur des Diamondbacks franchissait la distance qui le séparait du marbre, il y a eu une courte accalmie dans le stade. On aurait dit que les spectateurs étaient étonnés. Pour ma part, jâétais sur le monticule, immobile, et je fixais le sol. Cela faisait 677 jours que je nâavais pas vécu pareille situation. Il sâagissait seulement de mon cinquième sabotage en carrière et, curieusement, trois dâentre eux étaient survenus face aux Diamondbacks.
Tête baissée, jâessayais de retrouver ma concentration. Des idées et des sentiments contradictoires se bousculaient dans ma tête. Jâétais à la fois soulagé dâun poids énorme, et déçu dâavoir failli à la tâche sur trois frappeurs consécutifs alors que je détenais à chaque fois lâavance dans le compte. Il fallait cependant que je me ressaisisse. Jâavais encore deux retraits à compléter pour laisser une chance à mes coéquipiers de remporter le match.
Puis soudainement, le bruit de la foule mâa ramené dans le match. Les partisans se sont levés dâun bloc et mâont accordé une chaleureuse et longue ovation.
Quinton McCracken a ensuite été retiré sur un roulant au premier. Et Juan Brito a cogné un roulant à lâarrêt-court pour mettre fin à la menace des DâBacks.
Après le dernier retrait, je me suis lentement dirigé vers lâabri, absolument furieux de la manière dont je venais de lancer. Puis la foule sâest à nouveau levée dâun bloc. Cette fois, lâovation a duré plusieurs minutes. Les clameurs des fans sont ensuite reparties de plus belle quand je suis sorti de lâabri pour les saluer et les remercier.
Mes remerciements étaient tout à fait sincères. Sans lâadrénaline dont les partisans des Dodgers mâavaient nourri durant ce marathon accablant, je ne me serais sans doute jamais rendu à 84 sauvetages consécutifs.
Cet instant fut lâun des plus exaltants de ma carrière parce que, tous sports confondus, jamais je nâavais été témoin dâune telle scène. Je venais de «scraper» le match et les gens étaient tous debout pour mâapplaudir. Jâen avais la chair de poule.
Câest extrêmement rare quâon voie une foule accorder une telle ovation à quelquâun qui vient dâéchouer. Dâordinaire, les gens célèbrent ceux qui accomplissent quelque chose de positif comme un 60 e circuit ou un 3 000 e coup sûr. Mais un sabotage? Cela mâapparaissait impensable.
Heureusement, cette journée sâest tout de même terminée sur une note positive. En dixième manche, alors que nous avions trois coureurs sur les sentiers et quâil nây avait quâun retrait au tableau, Shawn Green a cogné un long ballon sacrifice au champ centre, ce qui nous a permis de lâemporter au compte de 6-5 et de nous rapprocher à un match de la tête.
Après la rencontre, les joueurs et les gérants des deux équipes ont été appelés à commenter la fin de ma séquence et toutes les déclarations faites étaient élogieuses ou empreintes de respect. Lâune dâelles mâest dâailleurs restée en mémoire:
«Cette marque me semble aussi intouchable que les records de DiMaggio, Orel Hershiser ou Cal Ripken. Il nây a pas grand-chose à ajouter. Ces records ne dureront sans doute pas jusquâà la fin des temps. Mais nous avons lâimpression quâils ne seront jamais battus», a déclaré Shawn Green, qui était lâun des plus fins analystes de baseball quâil mâait été donné de rencontrer.
La plus belle et la plus intense période de ma carrière a pris fin à ce moment précis.
Après avoir inscrit cette marque dans le livre des records, assez rapidement, les circonstances mâont sournoisement poussé sur la pente descendante que jâavais tant redoutée durant lâentre-saison.
La semaine suivante, le 13 juillet, jâai pris part au match des
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