Game Over - L’histoire d’Éric Gagné

davantage de congés.
    Mon efficacité sur la butte était cependant restée la même. Ma moyenne de points mérités s’élevait 1,54 et ma séquence de sauvetages consécutifs était toujours en cours. Deux jours auparavant j’avais préservé mon 84 e match de suite, soit 30 de plus que le record précédent établi par Tom Gordon, des Red Sox de Boston, entre le 19 avril 1998 et le 5 juin 1999.
    Depuis un bon moment déjà, ma séquence et mon record captivaient l’imagination des partisans des Dodgers et alimentaient les conversations des observateurs un peu partout dans le monde du baseball. Ma dernière mission ratée remontait au 16 août 2002 et certains se demandaient si j’allais pouvoir célébrer une deuxième année complète sans sabotage. Aux émissions de «lignes ouvertes», certains commençaient même à spéculer sur mes chances d’atteindre l’inimaginable marque des 100 sauvetages consécutifs.
    Cette séquence de quasi-invincibilité était devenue lourde à porter. Plus le temps passait, plus la pression de performer et de la prolonger était forte. Mais dans un autre sens, cette séquence me facilitait aussi la vie parce qu’elle intimidait bon nombre de frappeurs et qu’elle me procurait un avantage sur eux.
    Les frappeurs occupant les troisième, quatrième et cinquième rangs dans l’alignement des Diamondbacks étaient prévus en neuvième.
    Après avoir retiré Scott Hairston sur trois prises, j’ai pris une avance de 0-2 sur Shea Hillenbrand. Mais sur le lancer suivant, Hillenbrand, un frappeur droitier, a trouvé le moyen de cogner un simple au centre.
    Accorder un coup sûr lorsqu’on détient une avance de 0-2 est le genre de faute qui revient très souvent hanter les lanceurs. Dans le fameux «livre du baseball», il est écrit que cela ne devrait jamais survenir.
    Après ce coup sûr, Al Pedrique a quitté l’abri des Diamondbacks pour procéder à un changement de frappeur. Luis Gonzalez s’est alors présenté à la plaque à la place du lanceur Mike Koplove. Gonzalez connaissait une saison difficile en 2004 mais il constituait tout de même une sérieuse menace.
    En fait, Gonzalez n’a jamais vraiment connu de succès contre moi (4 en 20, 9 retraits sur des prises) mais je savais qu’il était prêt à tout pour obtenir un coup sûr à mes dépens. Lors d’une précédente visite des Diamondbacks au Dodger Stadium, il avait offert une grosse somme d’argent à un employé des Dodgers pour qu’il subtilise ma casquette et mes souliers à crampons, juste pour me déconcentrer!
    Le responsable du vestiaire des Dodgers, Dave Dickenson (alias Bonsey), était un personnage bien connu dans les coulisses du baseball majeur. Et un bon jour, alors que Bonsey avait affaire au préposé au vestiaire des Diamondbacks, Gonzalez l’avait interpellé et lui avait offert plusieurs milliers de dollars en échange de ma casquette et de mes souliers à crampons.
    Ma casquette un peu sale et défraîchie ainsi que mes vieux souliers à crampons faisaient partie de mon image de closer dur et intimidant. Et dans le cadre d’un reportage diffusé à la télé, Gonzalez avait appris que j’utilisais ces mêmes pièces d’uniforme depuis plus de deux ans. Il avait donc songé à les faire disparaître pour me déstabiliser.
    Heureusement pour moi, Bonsey était d’une extrême loyauté envers les joueurs des Dodgers, qu’il considérait comme des membres de sa propre famille.
    Toujours est-il que Gonzalez s’est présenté à la plaque. Et avec un compte de 2-2, je lui ai servi un changement de vitesse qu’il a solidement cogné en flèche loin dans la droite pour obtenir un double. Hillenbrand est venu marquer.
    Le frappeur suivant était Chad Tracy, une recrue de 24 ans qui connaissait un début de carrière intéressant dans les majeures. Tracy frappait de la gauche.
    Après m’être forgé une avance de 0-2, je lui ai servi un changement de vitesse qui n’était pas censé atteindre la zone des prises.
    Tracy s’est montré patient et il est parvenu à cogner un solide roulant sur la ligne du premier. Notre premier-but Olmedo Saenz a plongé pour