Gauvain
le conduire en présence du roi. Celui-ci lui demanda qui il était et de quel pays il venait. « Mon nom est Gauvain, répondit-il, et je suis le neveu du roi Arthur. – Certes, dit le roi, tu appartiens à un royaume qui ne manque pas de bons chevaliers. Ils sont assurément meilleurs que ceux de mon royaume, car parmi ceux-ci, je n’en trouve pas un seul qui se soucie de me porter secours. Quant à toi, si tu es assez brave pour daigner m’aider, je t’en récompenserai dignement. Un géant m’a ravi mon fils unique, qui m’est très cher et que je veux sauver à tout prix. Si tu consens à risquer ta vie pour sauver mon enfant, je te ferai don de la plus magnifique épée qui ait jamais été forgée, celle avec laquelle Jean le Baptiste fut décapité. C’est une épée miraculeuse, car elle se couvre de sang chaque jour à midi, en souvenir de l’heure où fut tranchée la tête du prophète. Je vais te la montrer. »
Le roi fit apporter l’épée. Il la montra d’abord à Gauvain dans son fourreau, qui était recouvert de pierres précieuses. Les attaches étaient de soie, avec des pendentifs en or, de même que la poignée ; le pommeau était fait, lui, d’une pierre magique venue d’Orient. Le roi dégaina ensuite la lame ; celle-ci apparut toute sanglante, car il était précisément midi. Il l’exposa sous les yeux de Gauvain jusqu’à ce que l’heure fût passée : la lame devint alors aussi brillante et aussi verte qu’une émeraude. Gauvain fut fasciné par ce prodige, et son émerveillement ne fit qu’exciter son désir d’obtenir l’épée afin de se présenter ensuite au château du Riche Roi Pêcheur. « Roi, dit-il, j’ai décidé de t’aider. Fais-moi savoir où je trouverai le géant. »
Après qu’on lui eut indiqué le repaire de celui-ci, Gauvain se mit en route sans tarder. Il parvint bientôt à une haute montagne qui s’élevait au-dessus d’une plaine que le géant avait entièrement dévastée. La base de cette montagne avait trois bonnes lieues de tour, et c’était là que le géant avait établi sa demeure. Il était si grand et si terrifiant d’aspect qu’il ne craignait aucun ennemi. Tant et si bien que depuis longtemps aucun chevalier n’était venu le défier dans son repaire. Par ailleurs, nul homme n’avait osé s’installer sur son territoire, et le défilé par lequel on y accédait était si étroit qu’un cheval même ne pouvait l’emprunter. Gauvain fut donc obligé de mettre pied à terre et d’abandonner, en plus de sa monture, son bouclier et sa lance pour se frayer passage, vaille que vaille. Le chemin formait en effet une sorte de faille entre des rochers coupants, et mieux valait ne pas s’y frotter.
Il parvint enfin de l’autre côté de la montagne, sur un plateau qui dominait la plaine ; et, devant lui, il aperçut le géant qui, assis à même le sol, sous un arbre, jouait aux échecs avec l’adolescent. Gauvain, qui avait conservé son armure et portait son épée au flanc, se dirigea vers eux. En le voyant approcher, le géant se dressa d’un bond, saisit une énorme hache qui se trouvait à ses côtés et se précipita sur lui, son arme brandie, avec l’intention de lui en fendre la tête de toute la force de ses deux mains. Gauvain esquiva le coup en se jetant vers la gauche, et il lui donna un tel coup d’épée qu’il lui trancha l’un des poignets. Mais, en se voyant aussi grièvement blessé, le géant retourna sur ses pas et, utilisant sa main intacte, saisit le prince par le cou et le serra si fort qu’il l’étrangla. Retournant alors vers Gauvain, il le prit à bras-le-corps et le paralysa de son étreinte. L’élevant ensuite en l’air de trois pieds au-dessus du sol, il l’emporta vers sa tanière, au sommet du rocher. Mais, comme il en approchait, il trébucha, tomba et se retrouva au sol sous son adversaire. Il n’eut pas le temps de se relever que Gauvain, de son épée, lui transperçait le cœur. Là-dessus, le chevalier lui trancha la tête et se dirigea vers l’endroit où le fils du roi gisait mort, ce dont il fut très attristé.
Après avoir repris son souffle, il chargea sur ses épaules le corps du malheureux jeune homme, prit dans sa main la tête du géant et, non sans peine, regagna le lieu où il avait laissé son cheval, son bouclier et sa lance. Là, il se remit en selle et s’en fut, portant devant lui le cadavre du prince ainsi que la tête du géant.
Le roi Gurgaran et
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