Gauvain
bien tard, mais indique-moi, je te prie, un endroit où l’on accepterait de m’héberger. – Seigneur, répondit le portier, il n’y a ni chaumière, ni maison à dix lieues à la ronde. Je ne sais que te conseiller : tu errerais en vain toute la nuit à travers les bois et les champs de bruyère. – Fort bien, dit Gauvain. Je m’en vais et te recommande à Dieu. » Et, sans plus attendre, il reprit le chemin qui l’avait mené jusqu’à la porte de la forteresse.
Or, en descendant la pente, il aperçut une chapelle, haute et belle, en bordure du chemin, et derrière elle se trouvait un cimetière entouré d’un mur qui paraissait épais. Pensant qu’il se trouverait là en parfaite sécurité et qu’il pourrait s’y reposer jusqu’à l’aube, il avança donc jusqu’à la chapelle, la contourna et mit pied à terre dans le cimetière. Il déposa sa lance et son bouclier contre le mur de la chapelle, il dessella Gringalet puis il le pansa et l’étrilla soigneusement. Alors le cheval s’en alla brouter l’herbe qui poussait entre les tombes, et Gauvain s’assit tranquillement sur une dalle de granit. C’est alors qu’il entendit, à l’extérieur du cimetière, un bruit de trot. Il sortit et aperçut un jeune homme monté sur un roncin qui, sortant du bois, se dirigeait vers la forteresse.
« Qui es-tu donc pour passer si tard ? » demanda Gauvain. En entendant parler, le jeune homme faillit tomber de sa monture et poussa un hurlement. « Par la sainte mère de Dieu ! s’écria-t-il, que je conserve intacte ma raison ! Par Dieu tout-puissant, que je sois protégé des menaces de l’enfer ! »
Abasourdi de cette réaction, Gauvain s’approcha du jeune homme en disant : « Ne te tourmente pas, ami ! Que Dieu tout-puissant nous protège, toi et moi, de tout péril qui pourrait survenir ! » L’autre, en entendant invoquer Dieu, fit tourner son cheval et vint aussitôt lui demander qui il était et de quel pays il venait. « Ami, je suis Gauvain, fils du roi Loth d’Orcanie et neveu du roi Arthur. Pourquoi t’être ainsi affolé lorsque je t’ai adressé la parole ? – J’ai eu peur, avoua le jeune homme. J’ai cru qu’un diable voulait m’agresser ! – Un diable ! s’ébahit Gauvain, d’où te vient cette étrange idée ?
— Seigneur, répondit le jeune homme, ignores-tu que c’est dans l’Âtre Périlleux {7} que tu as établi ton gîte ? Chaque nuit, je te le jure, des diables viennent y loger, un, deux ou trois, je ne sais pas au juste. Voilà bien plus d’un siècle que personne, chevalier, berger, clerc ou bourgeois, ne s’y est arrêté là l’espace d’une nuit sans qu’on l’ait trouvé mort au petit matin. Ne crois pas être arrivé à bon port, cherche un autre logis que ce cimetière maudit. Mais si tu veux m’en croire, tu accepterais mon offre de t’héberger moi-même. Vois-tu cette forteresse sur la pente ? Elle était à moi, jadis, et je la tenais de mon père, mais j’en ai fait don à un chevalier quand il a pris ma sœur pour épouse. Ils dormaient tous ce matin quand je suis parti chasser dans la forêt. J’ai poursuivi un cerf toute la journée, si bien qu’enfin l’un de mes lévriers l’a rejoint. Je me suis longuement attardé à l’écorcher et à le découper. Tu peux le voir sur mon cheval. Nous pourrons en tirer bientôt autant de rôtis et de bouillis que nous voudrons. Mais je t’en prie, seigneur, ne reste pas ici si tu tiens à la vie. Viens plutôt t’abriter chez moi, tu y seras bien accueilli. – Certes, repartit Gauvain, ton offre est des plus aimables et je t’en sais gré. Mais, tout à l’heure, je suis allé me présenter à la porte de la forteresse, et un homme d’armes m’a répondu que je m’époumonais en vain. Il paraît, et cela m’étonne fort, que les portes sont closes dès le coucher du soleil et ne se rouvrent qu’à l’aurore.
— Tout cela est exact, dit le jeune homme. Cet homme d’armes t’a bien renseigné. Mais nous parviendrons bientôt au fossé. J’y jetterai mon gibier et nous y sauterons nous-mêmes, puis nous l’escaladerons du côté du rempart. Mes gens s’y trouvent, qui montent la garde avec vigilance lorsque je ne suis pas rentré avant le coucher du soleil. Ils auront tôt fait de nous hisser au sommet du mur, la venaison, toi et moi. – Cependant, dit Gauvain, que ferons-nous de nos chevaux ? – Seigneur, nous les laisserons paître librement toute
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