Gauvain
car il est en route. Il va bientôt arriver et ne tolérera pas que je m’entretienne avec quelqu’un d’autre que lui. Toutefois, ne te laisse pas impressionner par sa force et sa laideur. Je vois que tu es brave et généreux, et si tu as foi en Dieu, sois-en certain, tu vaincras. Alors je serai délivrée. Vois-tu la croix qui surmonte cette tombe ? Si tu te sens faiblir au cours du combat, regarde-la et, immédiatement, tes fatigues cesseront et tu pourras lutter avec une ardeur intacte. Maintenant, cher seigneur, prépare-toi, enfourche ton cheval, car je sens qu’approche mon tortionnaire. »
Gauvain mit alors son heaume et enfourcha Gringalet. La jeune fille en blanc s’empressa de l’aider, lui tendant lance et bouclier. « Quoi qu’il advienne, lui dit-elle, garde courage. » À ce moment, le diable franchit la porte et pénétra dans le cimetière. « Espèce de putain ! s’écria-t-il, c’en est fait de ta vie et de l’honneur de ton galant ! Votre entrevue va s’achever bientôt d’une manière déplorable pour lui et pour toi. Il aurait mieux fait de ne jamais venir ici. » Avec beaucoup de dignité, la jeune fille répliqua : « Je n’ai pas peur. Je ne déplore que d’avoir dû me prostituer à toi tant de nuits. Mais tout va changer, car celui qui est là, c’est le noble Gauvain, le neveu du roi Arthur, et tu ne pèseras guère en face de lui ! Ainsi cesserai-je à jamais d’être soumise à tes désirs monstrueux ! »
Quand le diable entendit le nom de son adversaire, il en conçut une agitation sans bornes, car il le connaissait de réputation. Ils se ruèrent aussitôt l’un sur l’autre, se frappant sans pitié, entrechoquant leurs armes et poussant chacun des cris, dans l’espoir de s’effrayer l’un l’autre. Le combat fut d’une rare violence, et la fureur du diable était telle, sa force et sa prouesse si grandes que Gauvain fut obligé de reculer Jusqu’à la porte du cimetière, vers l’entrée de la chapelle.
« Gauvain ! s’écria alors la jeune fille, ta foi manquerait-elle de fermeté ? Regarde l’image de la croix ! » À ce rappel à l’ordre, Gauvain courut sus à l’ennemi avec une telle rage qu’il le fit reculer fort à l’intérieur du cimetière. Mais la colère du diable s’accrut quand il se vit contraint de céder du terrain. À son tour, il s’élança sur Gauvain le plus vite qu’il put et lui martela le flanc droit. Blessé en deux endroits, celui-ci dut reculer au-delà du porche. « Hélas ! s’écria encore la jeune fille, comment expliquer qu’un diable maudit possède une telle vigueur ? Ah, chevalier ! que fais-tu donc ? Aurais-tu donc oublié la croix ? » Au son de la voix, Gauvain jeta un regard sur le crucifix, et aussitôt il sentit ses forces lui revenir. Il se précipita sur son adversaire et lui donna une telle estocade qu’il l’abattit sur les genoux. Puis, voyant qu’il l’avait gravement touché, il le fit reculer au point de trébucher contre une tombe et s’y affaler avec tant de brutalité qu’il lui fut impossible de se relever et que, dans sa chute, il perdit son heaume qui alla rebondir fort loin. Il était maintenant nu-tête. Alors, sans éprouver la moindre pitié, Gauvain brandit son épée et l’abattit comme une masse sur le chef du monstre, lui emportant la moitié de la face jusqu’au menton. Un nouveau coup le décapita. « Dieu soit loué ! s’écria la jeune fille, et toi, chevalier, bénie soit ta venue en ces lieux ! Ma vie a été si longtemps misérable, en proie au tourment et à la peine ! Le monde entier peut maintenant le proclamer : voici Gauvain, le bon chevalier toujours prêt à secourir les femmes et les jeunes filles dans l’infortune ! » Et, se précipitant à genoux devant lui, elle se mit à pleurer d’attendrissement et de joie.
Les gens de la forteresse qui se trouvaient sur les créneaux avaient bien entendu, malgré la distance, le bruit du combat et le vacarme des assauts répétés des deux adversaires. Ils comprirent alors, une fois que le silence fut retombé, que l’un d’eux avait succombé, mais ils ignoraient lequel et avaient grand-peur qu’il ne s’agît de Gauvain. Aussi se tourmentèrent-ils jusqu’à l’aube dans ce souci et cette angoisse. Or Gauvain avait retiré son heaume et, harassé par sa lutte, s’était étendu sur le sol, près de la chapelle, la tête posée sur la poitrine de la jeune fille qu’il
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