Gauvain
venait de délivrer de l’emprise affreuse du démon.
Dès que le soleil eut paru, le jeune homme, beau-frère du seigneur des lieux, se leva, demanda son cheval et se précipita vers l’Âtre Périlleux . Chevaliers, jeunes filles et bourgeois, tous les habitants de la forteresse s’élancèrent à sa suite afin de connaître le sort de Gauvain. Et, tout heureux de le trouver sain et sauf, ils contemplèrent avec stupeur le diable maudit. Et comme celui-ci avait l’habitude de ravager le pays, ils en manifestèrent une grande joie. La nouvelle de sa défaite se répandit partout et le cimetière maudit perdit enfin son nom funeste d’ Âtre Périlleux .
Dès que Gauvain se fut réveillé et qu’il eut reconnu le jeune homme de la forteresse, il lui demanda : « Ami, que sont devenus la jeune fille et le grand chevalier qui l’a ravie à la cour du roi ? – Seigneur, n’aie aucune crainte, tout s’est passé selon ta volonté. La jeune fille a été confiée à ma sœur, et celle-ci s’en est occupée toute la nuit avec le plus grand soin. Ce matin, au lever du soleil, quand les portes ont été ouvertes, le grand chevalier a manifesté son impatience de repartir. Il a fait seller son cheval et réclamé la jeune fille. Ma sœur la lui a rendue fort courtoisement, comme il avait été décidé, et, sans perdre un instant, le grand chevalier s’en est allé. D’après ses dires, il compte rejoindre son pays avec celle qu’il a obtenue grâce à la lâcheté des compagnons d’Arthur. » Ces paroles n’eurent pas le don de plaire à Gauvain dont la colère redoubla. Mais certes le jeune homme n’en était pas responsable. Après tout, Gauvain savait qu’il se trouverait fatalement, tôt ou tard, en présence du ravisseur, et l’essentiel, selon lui, était qu’il n’eût point passé la nuit avec elle. Il serait toujours temps de venger l’honneur d’Arthur et, sans compter celui du malheureux Kaï, le sien propre.
Gauvain dit donc au jeune homme : « Ami, à présent, peux-tu t’occuper de nous procurer quelque nourriture à moi-même et à mon cheval ? Ainsi ton service sera parfait. J’ai passé une bien mauvaise nuit, et je n’ai ni bu ni mangé depuis hier. » Remontant prestement sur son roncin, une bête puissante et rapide, le jeune homme se hâta vers la forteresse. Il appela deux de ses gens, leur donna du pain et de la viande en abondance, un gros morceau de chevreuil rôti et un pâté fait de deux perdrix. Il leur confia bien d’autres choses encore : des serviettes blanches, des coupes et du sel, sans oublier du bon vin, ainsi que de l’avoine et du foin pour le destrier. Puis, au grand galop, il rejoignit Gauvain qui l’attendait dans le cimetière.
Après qu’il eut déjeuné de bon appétit avec la jeune fille, Gauvain pria le jeune homme de lui préparer son cheval et ses armes. « Seigneur, dit la jeune fille, au nom de Dieu et pour l’honneur, je te prie de ne pas m’abandonner en ces lieux, car j’y serais bien seule et bien démunie. Je voudrais t’accompagner dans ton pays, si tu le veux bien ! – Seigneur, reprit le jeune homme à son tour, je vais me mettre en quête d’un palefroi pour elle, si tu y consens, mais, de grâce, emmène-moi aussi. Voilà si longtemps que je rêve d’être à ton service ! – Mon ami, répondit Gauvain, qu’il en soit selon ton désir. » Le jeune homme s’en alla donc encore une fois vers la forteresse et en revint avec un magnifique palefroi. Dans son ravissement, la jeune fille ne fut pas longue à l’enfourcher. Quant à Gauvain, il revêtit son heaume et fut bientôt en selle sur Gringalet. Puis tous trois ainsi équipés partirent à la recherche du grand chevalier.
Il était déjà plus de midi lorsqu’ils l’aperçurent, filant loin devant eux. Ils le reconnurent sans hésiter à sa monture et à son bouclier couleur vermeille, étincelant dans l’éclat du soleil. D’autant que, comme il avait placé la jeune fille devant lui, il avait dû mettre son écu sur la croupe, ce qui le rendait encore plus repérable. Mais à peine eut-elle entrevu le grand chevalier au bouclier vermeil que la jeune fille délivrée de l’ Âtre Périlleux se répandit en lamentations, tandis que ses traits s’empourpraient.
« Seigneur, dit-elle à Gauvain, est-ce là l’homme contre lequel tu devras te battre après l’avoir rattrapé ? Hélas ! Sache que même à trois ou quatre, ses assaillants auraient
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