Gauvain
la jeune fille, elle avait ramassé les pièces de l’échiquier et les lançait furieusement contre les assaillants. Elle serrait son corsage, relevait le bas de sa robe et jurait dans son courroux qu’elle les ferait tous pendre ou écorcher vifs.
Mais les bourgeois, s’opiniâtrant, juraient qu’ils abattraient la tour pour les en déloger. Les assiégés ne s’en défendirent que mieux, faisant pleuvoir pions, pièces d’ivoire et vaisselle sur les assaillants. Ceux-ci, sous cette avalanche, reculèrent. Alors, ils décidèrent de creuser la terre avec des pics d’acier pour faire crouler la tour. Et, aussitôt, ils se mirent à l’ouvrage.
Cependant, le jeune seigneur qui avait hébergé Gauvain, ne savait rien de l’affaire. Il chassait dans le bois quand, voyant que l’heure avançait, il décida de revenir vers la cité. C’est alors que Guinganbrésil, par le plus grand des hasards, atteignit celle-ci, galopant de toute la vitesse de son destrier. Il s’informa de ce qui se passait, et quand il eut appris que Gauvain se trouvait là, assiégé par la commune, il en fut très contrarié. Il alla au milieu de ceux qui, avec leurs pics, s’acharnaient à creuser sous la tour et, d’une voix forte, il leur interdit de continuer leur ouvrage insensé, les menaçant des pires châtiments si une seule pierre de la tour était descellée. Mais, dans leur fureur, ils lui répondirent avec insolence que, s’il voulait joindre son sort à celui de Gauvain, ils l’en laissaient libre. Et ils reprirent leur travail comme si de rien n’était.
Voyant que son intervention ne servait à rien, Guinganbrésil se précipita alors chez le roi, son frère, et le rencontra au moment où celui-ci regagnait son palais, entouré d’une multitude de ses gens. « Seigneur roi, s’écria-t-il, ton honneur est en jeu ! Ton maire et tes échevins te couvrent d’opprobre. Depuis je ne sais combien de temps, ils attaquent ta tour et tentent de l’abattre ! – Comment se peut-il ? » s’étonna le roi d’Escavalon. C’était lui, en effet, le jeune homme qui avait invité Gauvain à se loger chez lui. « Seigneur, continua Guinganbrésil, tu as donné asile, sans le connaître, à Gauvain, le meurtrier de notre père. Je l’avais sommé en duel pour sa félonie, tu le sais, et je prétends débattre de cette affaire en champ clos avec lui. Il serait malséant que ton peuple s’en fît justice ! » Le jeune homme n’en revenait pas. « Certes, dit-il, voici une bien étrange aventure. Mais tu as raison. Gauvain est mon hôte, et je dois le protéger contre toute attaque. C’est à toi que revient l’honneur de venger notre père, ainsi que nous en sommes convenus. Allons tout de suite rétablir l’ordre. »
Le jeune roi se précipita vers la tour et, en le reconnaissant, ceux de la commune s’arrêtèrent de creuser le sol. Il commanda au maire et aux échevins de faire cesser toute manœuvre hostile, les menaçant des pires châtiments s’ils n’obéissaient immédiatement. Sans insister, la foule se dispersa peu à peu. Alors, le jeune roi, accompagné de Guinganbrésil, pénétra dans la tour et vint saluer Gauvain. « Je ne savais pas qui tu étais, dit-il, mais tu es mon hôte et rien ne doit t’arriver de fâcheux tant que tu te trouveras sous ma protection. – Je te remercie, seigneur », répondit Gauvain.
Sur ce, Guinganbrésil salua la jeune fille qui, toute pâle, ne savait que penser, et il s’adressa à Gauvain dans ces termes : « Seigneur, je t’ai accusé de félonie et de déloyauté, et tu m’as juré que tu te présenterais devant moi pour me combattre sous quarante jours. Mais je ne t’avais pas demandé de pousser la hardiesse jusqu’à venir en cette cité te mettre à la merci de ses habitants. Quoi qu’il en soit, je devais te prendre sous ma sauvegarde et je l’ai fait. Mais ne te crois pas quitte du serment prêté devant témoins. – Certes non, je ne l’oublie pas, répondit Gauvain. Je rends hommage à ton sens de l’honneur et suis prêt à en découdre avec toi quand il te plaira. »
C’est alors qu’intervint un chevalier, vieux et chenu, mais dont la réputation de sagesse était telle que chacun l’écoutait et tenait compte de ses avis. Il s’en vint vers le roi et lui dit : « Seigneur, il est temps de te donner un bon et loyal conseil. Comment s’étonner que celui qui a tué traîtreusement ton père se soit vu ainsi agressé ?
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