Gauvain
Tout le monde ici lui veut male mort. Cependant, tu l’as reçu chez toi, et tout hôte doit être à l’abri de la prison ou de la mort. Au demeurant, pour parler franc, Guinganbrésil que je vois là, lui doit aussi sa protection puisqu’il s’est rendu à la cour du roi Arthur lui demander raison de la traîtrise qu’il lui reproche. Force est d’en convenir, le chevalier Gauvain est venu à ta cour se défendre de l’accusation. Mon conseil est donc que mieux vaut remettre ce combat à un an d’ici. En attendant, je suggère que le chevalier s’en aille d’abord en quête de la Lance dont le fer ne cesse de saigner, cette merveille dont on nous a parlé et que chacun des rois de ce monde voudrait posséder. – J’y consens volontiers, dit Guinganbrésil. – Et moi de même, dit le jeune roi. Qu’en dis-tu, Gauvain ? Acceptes-tu d’attendre un an pour combattre Guinganbrésil et, pendant ce délai, de te mettre en quête de la mystérieuse Lance dont la pointe pleure des larmes de sang et dont il est écrit qu’un jour elle détruira tout ce royaume ? – J’accepte, répondit Gauvain.
— Attendez, dit encore le vieillard. La justice ne peut se faire qu’elle ne soit égale pour tous. Seigneur roi, il est bien évident que le chevalier Gauvain ici présent a subi un grand dommage, lui qui, sous ta protection, a été assailli par la commune de ta ville. Tu lui dois réparation. Voici donc ce que je propose : si Gauvain, dans le délai d’un an, te rapporte la Lance qui saigne, il sera dispensé de combattre Guinganbrésil, et l’accusation portée contre lui sera abandonnée. Cela me semble équitable, car la quête de la Lance ne sera pas sans danger. » Le jeune roi se tourna vers Guinganbrésil. « Quel est ton avis, frère ? demanda-t-il. – Cela me paraît juste, répondit Guinganbrésil. Je déclare que Gauvain sera lavé de tout soupçon concernant la mort de notre père si, dans le délai d’un an, il nous rapporte la Lance qui saigne. S’il ne peut la rapporter, il devra combattre contre moi. »
Le roi se tourna vers Gauvain : « Qu’en penses-tu ? demanda-t-il. – J’accepte la proposition, répondit Gauvain, et je suis prêt à en faire serment. » On apporta alors le reliquaire le plus précieux qu’on put trouver, et sur lui, Gauvain jura solennellement qu’il n’épargnerait ni peines, ni fatigues pour conquérir la Lance. Il ajouta qu’en cas d’échec, il reviendrait à Escavalon se mettre à la disposition de Guinganbrésil. – Voilà qui est bien », dit le jeune roi, qui ne pouvait s’empêcher de manifester une grande admiration pour le neveu d’Arthur.
Celui-ci, avant de quitter la tour, prit congé de ses hôtes et dit adieu à la jeune fille à cause de qui il avait failli courir grand péril. Elle avait les larmes aux yeux, car le départ de Gauvain l’emplissait de mélancolie. Mais, dans son cœur, elle espérait qu’il reviendrait un jour et qu’elle pourrait alors lui accorder pleinement son amour. Enfin, après avoir enfourché Gringalet, qui piaffait d’impatience, Gauvain piqua des deux, descendit les rues de la ville, franchit la grande porte et se mit à galoper dans la plaine {16} .
5
Le Château de la Merveille
Le lendemain, peu avant midi, Gauvain parvint sur le penchant d’une colline, au pied d’un grand arbre touffu et ombreux. Aux branches étaient suspendus un bouclier, une lance toute droite, et lié un petit palefroi. Intrigué, il s’approcha, mit pied à terre et, jetant un coup d’œil moins rapide, aperçut, à même le sol, une jeune fille qui, de ses doigts crispés, tentait de s’arracher les cheveux. Elle menait ainsi grand deuil pour un chevalier qui gisait de tout son long près d’elle et dont le visage semblait défiguré par une plaie béante et le crâne entamé par un coup d’épée. « Belle, dit Gauvain, que s’est-il donc passé, et quel est ce chevalier blessé ? – Seigneur, répondit la jeune fille au milieu de ses pleurs, c’est mon ami, qui a été attaqué par un maudit chevalier. – Il faut le soigner, reprit-il, se penchant sur lui. – Ne l’éveille pas, dit la jeune fille, car il risquerait d’en mourir. Mais toi, seigneur, si tu veux suivre mon conseil, rebrousse chemin : rien de bon ne peut t’arriver au-delà. Sache que personne n’est revenu indemne des pays qui s’étendent sous cette colline. – Personne ne m’empêchera d’aller plus loin, si telle est ma
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