Gauvain
décision. – Dans ce cas, dit la jeune fille, que Dieu te sauve !
— Mais que puis-je faire pour cet homme ? insista Gauvain. – Rien, répondit-elle, sinon le laisser dormir. Ou il mourra, ou il guérira, mais dans beaucoup de temps. À moins qu’on ne lui apporte l’herbe d’or, cette herbe qui guérit les maladies de toutes sortes et procure l’oubli à ceux qui souffrent. – Jeune fille, dit Gauvain, je vais partir, puisque tel est ton vœu, mais je te promets, si je trouve l’herbe d’or, de revenir ici au plus vite et de t’apporter de quoi guérir ton ami. – À ton aise », dit-elle encore, et elle se remit à pleurer et à s’arracher les cheveux.
Gauvain les quitta et poursuivit son chemin par prés et par bois. Il aperçut enfin une forteresse imposante, de noble aspect, au bord d’un estuaire. D’un côté s’étendait le port, où flottaient des navires, de l’autre des vignobles sur les pentes d’une colline. Gauvain décida de se porter vers la forteresse. Il franchit un pont puis les murs d’enceinte et aperçut alors dans un pré, sous un orme, une jeune femme qui mirait son visage d’une blancheur de neige au-dessus d’une fontaine, et dont la chevelure noire comme les plumes du corbeau était couronnée par un cercle d’or. Gauvain éperonna son cheval afin de parvenir plus vite jusqu’à elle.
« Hé, doucement, chevalier ! lui cria la jeune femme. Un peu de mesure, je te prie, tu vas beaucoup trop vite. Et, d’abord, pourquoi tant de hâte ? – Belle, répondit Gauvain, sois bénie de Dieu. Je voudrais bien savoir pourquoi tu m’as crié d’aller moins vite. Je suis sûr que tu avais une idée en tête. – C’est juste, répondit-elle. Je lisais dans tes pensées : tu voulais me saisir et m’emporter sur l’encolure de ton cheval. » Gauvain arbora une mine un peu piteuse, car telle était exactement la pensée qu’il avait eue, tant la beauté de la jeune femme excitait son désir. Était-elle fée ou sorcière pour lire ainsi dans les esprits ? Elle se mit à rire et continua : « Sache, beau chevalier, que je ne suis pas de celles que l’on emmène ainsi et que l’on culbute dans le premier champ de genêts ! Cela dit, si tu voulais être patient et suivre les conseils que je te donnerais, tu pourrais certainement m’emmener, sans que j’émette de restriction d’aucune sorte. Mais il te faudrait me donner la preuve de ta vaillance. – Qui es-tu donc ? demanda Gauvain. – Je me nomme Orgueluse {17} , dit-elle, et je suis la fille du roi de Lorrois. Aussi comprendras-tu que je ne peux me comporter comme la dernière de mes servantes, elles qui sont toujours prêtes à se livrer au premier venu ! Mais je t’avertis : si tu me veux, tu devras me mériter. Vois-tu mon palefroi, de l’autre côté de la rivière ? Va le chercher, ramène-le-moi, et alors je m’en irai avec toi jusqu’à ce que malheur et ennui, deuil et chagrin t’accueillent en ma compagnie. – M’imposes-tu d’autres conditions ? – Pas la moindre, répondit la jeune femme qui prétendait se nommer Orgueluse. Si tu me veux, obéis-moi.
— Je vais aller chercher ton palefroi, dit Gauvain. Mais le seul moyen de passer de l’autre côté est de ramper sur cette planche. Que vais-je faire de mon cheval, pendant ce temps ? – Ne t’inquiète pas pour si peu. Je le garderai, ce cheval auquel tu tiens tant. Mais hâte-toi, car je ne pourrai peut-être pas le retenir longtemps, et je m’en voudrais de te le faire perdre. – Tu dis vrai. Eh bien, si tu ne peux le retenir, je t’en tiens quitte et ne te ferai nul reproche. » Sans plus tarder, Gauvain lui tendit la bride de Gringalet et, non sans se munir de ses armes, car il redoutait que ne l’attendît au-delà de la rivière quelque mésaventure, il s’engagea sur l’étroite planche qui vacillait et menaçait de s’effondrer. Arrivé cependant sans encombre sur l’autre rive, il se trouva en présence d’une foule de gens qui le regardaient et qui criaient tous d’une seule voix : « Ah ! que le feu d’enfer puisse te brûler, maudite femme qui as fait tant de mal ! Maudite sois-tu, toi qui as fait périr tant de bons et loyaux chevaliers. Seigneur, tu veux enlever le palefroi, mais sais-tu quels maux t’attendent si tu y mets la main ? Chevalier, ne l’approche pas et fuis sans rien demander d’autre que le salut de ton âme et la sûreté de ton corps ! »
Mais Gauvain eut beau les
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