Gauvain
d’arbalètes. Un grand nombre vint frapper le bouclier de Gauvain qui, tout en se protégeant du mieux qu’il pouvait, s’interrogeait, perplexe : qui pouvait lancer tous ces traits ? Mais l’enchantement était tel que personne ne pouvait voir d’où provenaient ceux-ci, ni qui les tirait. Et le fracas qui en résultait était épouvantable. Gauvain eût volontiers donné mille marcs d’argent pour se trouver ailleurs. Au bout d’un certain temps, les fenêtres se refermèrent toutefois d’elles-mêmes, et Gauvain entreprit d’arracher les carreaux qui s’étaient fichés dans son bouclier ou l’avaient blessé lui-même en maints endroits, si bien que le sang coulait à flots de ses plaies. Il n’avait cependant pas fini sa besogne qu’une autre épreuve se présenta.
Il entendit heurter contre l’une des portes et, tout à coup, vit surgir un lion qui semblait affamé, lequel se précipita sur lui, toutes griffes dehors. Gauvain n’eut que le temps d’interposer son bouclier entre sa personne et le fauve. Mais celui-ci déchira le bois comme il eût fait de la cire, et le choc renversa Gauvain, qui tomba sur ses genoux. Dans un grand sursaut, il se releva d’un bond, tira du fourreau sa bonne épée et en porta à la tête du lion un coup si violent qu’il lui trancha le cou et deux pattes, l’une toujours prise dans le bouclier, l’autre au-dehors, pendante.
En se voyant débarrassé du fauve, Gauvain retourna s’étendre sur le lit afin de reprendre sa respiration, mais alors se précipita vers lui son hôte, le nautonier, qui criait au comble de la joie : « Seigneur ! tu n’as plus rien à craindre à présent ! tu as vaincu les enchantements ! tu peux te dépouiller de tes armes. Les merveilles du palais ont pris fin pour toujours, grâce à toi qui as osé les affronter avec courage et qui n’as pas succombé à leur violence ! »
Une multitude de gens, des valets vêtus de beaux habits, apparurent alors. Ils se mirent tous à genoux et s’écrièrent d’une même voix : « Beau seigneur, nous te présentons nos services comme à celui que nous avons si longtemps désiré. Le temps nous a paru bien long, cher seigneur ! » L’un d’eux entreprit de le désarmer. Les autres allèrent soigner son cheval. Et, tandis qu’on lui retirait son armure, entra une jeune fille d’une rare beauté, dont les cheveux étaient d’un blond si éclatant qu’ils auraient pu rivaliser avec les rayons du soleil. Son visage était blanc, d’une pureté absolue. Souple, bien faite, grande et droite, elle s’avançait, suivie de tout un cortège d’autres belles jeunes filles, et d’un seul valet qui portait, suspendue à son cou, une magnifique robe de chevalier.
Gauvain ne se lassait pas d’admirer les jeunes filles qui s’approchaient. Il se leva, vint à leur rencontre et les salua du mieux qu’il put. « Jeunes filles, dit-il, soyez les bienvenues ! » L’une d’elles s’inclina et dit : « Ma dame la reine te salue, beau cher seigneur, qui nous commande à toutes de nous tenir à ta disposition. Je te promets, moi la première, un service fidèle et sans faille. Quant à mes compagnes, elles te regardent également pour leur seigneur et seront tes servantes les plus zélées. Voilà bien longtemps qu’elles désiraient ta venue, et elles sont heureuses de pouvoir enfin contempler le plus sage de tous les sages chevaliers de ce royaume. Et je n’ai plus qu’un mot à dire : ordonne, nous sommes prêtes. »
Sans plus attendre, les jeunes filles le lavèrent et soignèrent ses blessures en y appliquant un baume qui supprimait toute douleur. Puis, quand on l’eut réconforté, on le revêtit de la belle robe d’hermine qu’avait apportée le valet. « À présent, dit la jeune fille qui paraissait commander aux autres, nous allons repartir et te laisser. Tu peux admirer des fenêtres les belles campagnes à l’entour : elles valent la peine qu’on les contemple. Sous peu, ma dame la reine viendra te saluer. » Et elle sortit, entraînant la troupe de jeunes filles dans son sillage.
Demeuré seul avec le nautonier, Gauvain alla jusqu’aux fenêtres et regarda dehors. Ébloui par tant d’eaux courantes, de champs immenses et de forêts giboyeuses, il ne put s’empêcher de dire à son hôte : « Par Dieu tout-puissant, cher ami, j’aurais plaisir à vivre ici pour aller chasser et tirer les bêtes de ces forêts ! – Seigneur, répondit le
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