Gauvain
déliait, ces dernières avaient, semblait-il, l’éclat de l’argent le plus pur. Elle avait une gorge divine, plus lumineuse que neige ou cristal et son cou était long, blanc et droit. Cette jeune fille était douée de tant de qualités que l’homme qu’elle aurait enlacé de ses bras eût été à jamais guéri de tous ses maux.
Aussi longtemps que dura le tournoi, la belle Lidoine se trouva donc le point de mire de tous les cœurs, et les chevaliers voulaient tous combattre pour elle. Bien entendu, Méraugis et Gorvain n’étaient pas les moins attentifs, et tous deux se sentirent envahis d’un amour fou pour la belle jeune fille. Chacun alla, de son côté, faire sa déclaration, mais Lidoine ne leur dit ni oui ni non. Elle paraissait estimer l’un et l’autre à égalité. En fait, elle éprouvait une grande angoisse, car elle ne savait qui choisir. Et quand, ayant eu l’honneur d’être déclarée la plus belle de toutes les femmes présentes à l’assemblée, elle posséda l’épervier, la rivalité entre Méraugis et Gorvain atteignit au paroxysme. Eux qui étaient naguère des amis dont chacun vantait l’immuable fidélité, ils se sentirent mutuellement possédés par les violences de la haine. Chaque fois qu’ils se rencontraient, ils se cherchaient querelle et se battaient en des duels dont aucun ne sortait vainqueur. Alors, dans tout le pays, il ne fut plus bruit que de leur rivalité.
À la fin, la belle Lidoine ne put plus supporter de voir deux hommes qu’elle estimait grandement se comporter avec autant de haine que de violence. Elle les fit mander devant elle et les pria de choisir une fois pour toutes lequel laisserait le champ libre à l’autre. Mais comme aucun ne voulut consentir à se sacrifier pour l’autre, la belle, en femme sage, leur proposa d’aller tous trois porter l’affaire devant la cour du roi Arthur. Ils acceptèrent, et rendez-vous fut pris à Carduel, où Arthur tenait sa cour.
Dès leur arrivée à Carduel, Lidoine, sans plus de retard, soumit le cas au roi et parla de l’amour que les deux chevaliers éprouvaient pour elle. Après l’avoir écoutée, Arthur, tout étonné par ce récit, ordonna que fût rendu le jugement qu’elle demandait, car il voulait savoir lequel méritait mieux le cœur de la jeune fille. Là-dessus, les barons, sans délai, se retirèrent donc pour délibérer. Kaï prit le premier la parole et déclara en pleine assemblée : « Roi, je propose que chacun la possède tour à tour un mois. – Seigneur Kaï, répliqua Yvain, fils du roi Uryen, cet avis est bien léger ! Quand cesseras-tu donc de te moquer du monde ? – Mais je ne me moque pas, dit Kaï ; je dis cela, au contraire, afin de ramener l’entente entre ces deux hommes qui, auparavant, étaient les meilleurs amis du monde. On n’y parviendra jamais, à moins de leur donner satisfaction à tous deux. – Kaï, dit Yvain, je peux t’assurer qu’un tel compromis n’en contenterait aucun. – Je ne sais comment l’on réglera cette affaire, dit Kaï en maugréant, mais, dans ces conditions, je n’ai plus rien à ajouter. »
Alors, les autres prirent la parole, et chacun donna son avis. Ils discutaient déjà depuis un bon moment, quand la reine Guenièvre survint et demanda que se réunît sa propre cour de justice. Le roi, furieux d’être dérangé, lui intima le silence. Mais la reine insista, disant : « Tu sais pertinemment, roi Arthur, que les jugements d’amour me concernent. Toi et tes guerriers, vous n’avez aucune compétence en pareille matière. – Par ma foi ! s’écria Kaï, la reine a raison. » Et tous les barons se rangèrent à son opinion.
Les barons sortirent alors, et les dames entrèrent. Aussitôt s’élevèrent débats et discussions. Par groupes de deux ou trois, de cinq ou six, elles délibérèrent de longues heures. Quand l’une donnait son avis, l’autre aussitôt lui opposait le sien. À peine l’une finissait-elle un long discours qu’une autre en entamait un plus long. Certaines se taisaient, d’autres parlaient. Elles en vinrent à se quereller, car aucune ne pouvait souscrire à l’avis d’une autre. Mais il fallut bien prendre une décision. La nuit approchait quand elles finirent par adopter le parti de Méraugis de Portleguez. À ce jugement, la reine n’ajouta rien. Sur ce, on appela le roi, et le verdict fut publié devant toute la cour. Apprenant qu’il était débouté, Gorvain Cadruz se montra
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