Gauvain
guetteurs, les aperçurent. Et, aussitôt, ils sonnèrent du cor, comme à l’approche d’une armée ennemie. Un incendie même n’aurait pas causé de plus grand vacarme et de plus grand tumulte à l’intérieur des murailles. « Je me demande, dit Méraugis, ce que peut signifier cette sonnerie. – Moi aussi, dit Lidoine, mais je ne m’attends à rien de bon. – Advienne que pourra, reprit Méraugis. Ils peuvent toujours corner, je ne m’en soucie nullement. »
Cependant, par la porte principale déferlait une foule de gens de toutes conditions qui semblaient vouloir les aborder. En tête, venaient nombre de femmes et de jeunes filles qui chantaient en rondes. Les suivaient des chevaliers montés sur des destriers fringants et robustes. « Ils veulent nous accueillir, je crois, dit Méraugis. – Je n’en suis pas convaincue », répondit Lidoine d’une voix rauque d’inquiétude.
Quand le cortège fut arrivé à leur hauteur, les femmes et les jeunes filles les entourèrent, poursuivant danses et chansons ; les chevaliers se démontèrent, et un homme d’allure imposante harangua Méraugis en disant que, comme sénéchal de la ville, il lui souhaitait la bienvenue au nom de tous les habitants. À sa suite, chacun s’avança et vint le saluer de la manière la plus courtoise qui fût. Méraugis leur rendit leur salut et se joignit à eux.
Or, ils prirent non le chemin de la ville, mais celui du rivage. La foule qui entourait Méraugis le dévisageait avec une vive curiosité. Les uns discutaient, d’autres s’entretenaient à voix basse, d’autres encore le regardaient comme s’il était un personnage issu d’un autre monde. Tout impatienté qu’il était déjà de servir ainsi de mire, Méraugis finit, de-ci de-là, par surprendre des bribes de conversation, notamment ces mots, qui couraient sur toutes les bouches : « Ce chevalier n’est pas moins grand que lui. »
Une fois parvenus au bord de la mer, les cavaliers mirent pied à terre, non loin d’une embarcation d’aspect très solide qui était amarrée à un gros rocher. « Cher seigneur, dit alors le sénéchal, prends place dans ce bateau. Tu traverseras la mer jusqu’à l’île que tu vois là-bas. – Certainement pas ! répondit Méraugis. – Et pourquoi donc ? demanda l’autre. – Parce que je n’en ai nulle envie, dit Méraugis. – Pourtant, reprit le sénéchal, il le faudra bien. La coutume exige que tout chevalier qui arrive ici se rende par la mer dans cette île. – Je déteste cette coutume et, avec l’aide de Dieu, je saurai bien l’abolir ! s’écria Méraugis. – Pas avant de t’être rendu dans l’île, insista le sénéchal. – Je n’irai pas ! répéta Méraugis. – Oserais-tu désobéir ? dit le sénéchal – Je me soucie bien d’obéir ! » s’écria Méraugis, excédé.
Tirant son épée du fourreau, il la brandit fièrement devant l’assistance. « Tu oserais résister ! s’exclama le sénéchal. – Oui, dit Méraugis. Je vous avertis tous : il y aura des membres tranchés si un seul de vous bouge ! – Allons, calme-toi, dit le sénéchal. Je vais t’expliquer la coutume. Vois-tu cette forteresse ronde au milieu de l’île, là-bas, et qui est entourée de sept colonnes ? Dans la tour habite un fier chevalier, et avec lui une femme, la plus belle qu’on puisse voir en ce royaume. Ces deux-là n’ont pour tout service que deux suivantes et un valet, voilà tout. Tels sont les seuls habitants de l’île. Si tu parviens à vaincre le chevalier qui t’attend déjà sur le rivage, sois sûr que la dame et la forteresse t’appartiendront. Si, en revanche, le chevalier l’emporte, tu seras entièrement nôtre, et soumis à notre bon plaisir. Sache enfin ceci : les femmes et les jeunes filles qui nous entourent sont venues jusqu’ici pour nous faire cortège et célébrer le combat qu’elles attendent avec joie. »
Méraugis réfléchit. L’idée d’en découdre avec un chevalier inconnu n’était pas, loin de là, pour lui déplaire. « Dans ces conditions, dit-il, j’accepte votre coutume et m’en réjouis. » Et il se mit à chanter, à l’unisson des femmes et des jeunes filles. Puis il regarda en direction de l’île aux sept colonnes et vit que le chevalier de la tour était sorti, richement équipé, et qu’il se promenait tranquillement le long du rivage. « Amenez l’embarcation, dit Méraugis, je suis impatient de me mesurer avec ce
Weitere Kostenlose Bücher