Gauvain
chevalier inconnu ! »
Les matelots les firent embarquer, lui et son cheval. Puis ils dressèrent le mât et firent voile vers l’île où l’on aborda bientôt. Méraugis débarqua et remonta à cheval tandis que le bateau repartait. Voyant le chevalier qui l’épiait, il lança sa monture au galop et se précipita sur lui, la lance baissée. L’autre l’attendait de pied ferme, sans bouger. Tous deux se frappèrent de leurs lances taillées avec tant de force qu’elles traversèrent les boucliers et les réduisirent en miettes. Ils se combattirent alors à coups d’épée, mais aucun ne parvenait à prendre le dessus. Après être allé de l’avant, forçant son adversaire à reculer, Méraugis, quelques instants plus tard, était à son tour obligé de faire retraite.
De l’autre côté, Lidoine, perdue dans la cohue des citadins, ne se réjouissait guère. La peur lui serrait le cœur et l’étreignait si fort qu’elle pensait mourir. Éperdue au bruit que faisaient les armes en s’entrechoquant, elle priait Dieu d’épargner celui qu’elle aimait avec tant de ferveur. Autour d’elle, les gens regardaient de tous leurs yeux, se demandant qui sortirait vainqueur de cette joute interminable. Car le temps passait, et les deux adversaires semblaient d’égale valeur, tant par l’endurance que par la prouesse. Quand l’un d’eux manifestait un rien de lassitude, l’autre le laissait courtoisement se reposer. Puis le combat reprenait, plus âpre et plus ardent au fur et à mesure que s’écoulaient les heures.
La bataille se prolongea ainsi jusque vers midi. Après quoi, le chevalier reprit ses esprits, se rua contre Méraugis et l’assaillit avec une vigueur décuplée. Bondissant à sa rencontre, Méraugis se défendit du mieux qu’il put, mais son adversaire le serrait de près. Assurément, le chevalier l’attaquait plus durement que jamais, il lui assenait des coups plus violents. Tout étourdi, Méraugis reculait. « C’est étrange, s’étonnait-il, je ne suis désormais plus maître de la partie. La chance tourne contre moi. Car je me disais, et je persiste à le penser, que ce chevalier était tout à l’heure recru de fatigue et que le combat l’avait affaibli. Mais voici qu’en un instant la force lui est revenue, plus neuve que jamais. »
Le chevalier, de son côté, s’empressait de multiplier les assauts, ce qui lui restait de bouclier plaqué sur l’avant-bras. Rempli de crainte face à lui, Méraugis avait encore reculé. « Chevalier ! cria-t-il, dis-moi ton nom ! – Pourquoi te le cacherais-je ? répondit l’autre. Je m’appelle Gauvain. C’est le nom que me donnent les Bretons. Je suis le fils du roi Loth d’Orcanie et le neveu du roi Arthur ! – Comment ? s’ébahit Méraugis. Tu serais vraiment Gauvain, mon ami ? – Ma foi, je le suis, sans mentir. Et toi, qui es-tu ? Dis-le-moi, je te prie. – Je suis Méraugis de Portleguez, ton ami. Je viens de ta propre terre. J’ai quitté la cour d’Arthur à seule fin de me mettre à ta recherche, et ce depuis déjà longtemps, mais, grâce à Dieu, je t’ai retrouvé, quel bonheur ! Car, au dire d’aucuns, Gauvain était perdu à jamais. Le roi et ses compagnons de la Table Ronde avaient perdu l’espoir de te revoir jamais.
— À juste titre, dit Gauvain. Tu peux être sûr que le roi, mon oncle, ne me reverra de sa vie. – Comment peux-tu parler ainsi, insensé ? s’écria Méraugis. Écoute : je me reconnais vaincu par toi et me constitue prisonnier. Allons-nous-en. Retraversons les flots. Voici d’ailleurs la barque qui revient nous prendre. – Cher Méraugis, c’est impossible. – Et pourquoi donc, cher seigneur ? – Le plus fort de nous deux doit nécessairement tuer l’autre. C’est ainsi : aucun chevalier n’est jamais sorti vivant de cette île, et jamais tu n’en partiras. – Mais pourquoi ?
— Je vais t’expliquer, dit Gauvain. Vois-tu, comme moi, la femme qui se penche à la fenêtre de la tour ? C’est une noble dame, et telle que je n’en pourrais décrire de plus belle. Elle a nom Orgueluse de Lorrois, tout ce pays lui appartient. Mais, jadis, un chevalier très audacieux vint auprès d’elle et la pria d’amour. Elle le lui accorda sans réserve, mais il la trompa honteusement. Et, depuis lors, elle est devenue jalouse et possessive. Elle a fait bâtir cette demeure afin d’y enfermer son nouvel ami. – Comment se peut-il ? dit Méraugis. – C’est
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