Gauvain
reviendras pas vivant. – Et comment s’appelle la seconde voie ? » demanda Méraugis.
La voix qui semblait ne venir de nulle part répondit : « C’est le Chemin de l’Injustice. – Et pourquoi donc s’appelle-t-il ainsi ? demanda Méraugis. – La réponse n’est pas difficile, reprit la voix. Sur ce chemin, on se comporte partout de manière injuste. Quiconque s’engage dans cette voie ne rencontrera jamais d’homme prêt à lui rendre justice. Quant à la troisième voie, celle qui tourne à droite, elle ne porte pas de nom. – Pourquoi ? – Sans doute parce qu’il revient à ceux qui la suivent de lui en donner un. Je n’en sais pas davantage sur ce sujet. Tout ce que je peux te dire, c’est qu’aucun de ceux qui s’y sont engagés n’en est revenu. Personne ne saurait dire où ils sont allés ni ce qu’ils sont devenus. À toi de choisir, maintenant. Tu peux prendre celle des trois voies qui te convient le mieux.
— Eh bien, déclara Méraugis, fort embarrassé, me voici bien avancé ! Je ne sais pas davantage quel parti prendre. Rien ne pouvait m’étonner autant que ce que je viens d’entendre. Que faire ? Et pourtant, si je veux accomplir ma mission, force m’est de choisir l’une des trois voies. » Alors, se tournant vers Lidoine, il lui demanda : « Douce amie, qu’allons-nous faire ? – Je ne sais, répondit-elle. – Vraiment ? N’as-tu pas d’opinion ? – Où tu iras, j’irai. »
Après avoir réfléchi quelques instants, il se décida brusquement : « Je vais emprunter le chemin qui n’a pas de nom, c’est résolu. Il ne me plairait guère de courir les deux autres, celui de l’Injustice ou celui Sans Pitié. Cette répugnance me détermine, car je doute que de leur côté l’on puisse trouver le bien. Certes, le troisième ne me garantit pas davantage un bon voyage, mais la raison commande de m’y risquer. – Eh bien ! s’écria Lidoine, allons. En route ! » Et, sans plus tarder, ils s’engagèrent sur la voie qui n’avait pas de nom et chevauchèrent longtemps au sein d’une forêt très sombre et très touffue.
Une fois qu’ils en furent sortis, ils abordèrent une grande plaine, que dominait la montagne et que bordait la mer. Et là, au loin, ils aperçurent une cité dont les toits brillaient au soleil. Ils y allèrent au pas, tout étonnés de la beauté de cette cité inconnue. Solidement campée sur le rivage, elle était protégée de la mer par de hautes murailles que battaient incessamment les vagues. Entre les murailles et la côte s’étalait un port où mouillaient de nombreux navires. Et, un peu à l’écart au large, se dressait une île surmontée d’une forteresse singulière, car elle était entourée de sept colonnes en pierre qui jaillissaient très haut vers le ciel.
Aux abords de la ville, Méraugis et Lidoine rencontrèrent des jeunes filles d’une éblouissante beauté, que précédait un nain portant pour elles un furet et quatre filets. Le chevalier salua les jeunes filles. « Tu as dépassé les bornes, répondirent-elles. Maintenant, tu ne saurais plus reculer. » Et, en s’éloignant, elles ajoutèrent : « Quel malheur pour toi ! » Elles avaient prononcé ces paroles assez distinctement pour qu’il ne s’y pût méprendre.
Désireux toutefois d’en savoir davantage, Méraugis devança Lidoine et galopa vers les portes de la ville. En route, il croisa un adolescent, le salua, mais celui-ci, sans répondre à son salut, s’arrêta un instant et dit : « Tu as dépassé les bornes. Maintenant, tu ne saurais plus reculer. Quel malheur pour toi ! » Puis, sans plus lui prêter d’attention, il reprit son chemin. Méraugis arrêta son cheval et se mit à réfléchir. Lidoine venait de le rejoindre, et elle lui dit : « Ces gens ne me rassurent guère. – Pourquoi ? lui demanda-t-il. – Je ne sais, répondit-elle, mais je dois t’avouer que je n’ai jamais eu si peur qu’en ce moment. » Il essaya de la rassurer : « Belle, pourquoi t’inquiéter ? dit-il. À moins que par malheur je ne périsse, tes craintes sont vaines. Tu es en sécurité. – Certes, répondit-elle, je suis paisible quand tu te trouves près de moi. Mais, dès que tu t’éloignes, je sens des menaces peser sur moi. »
Tout en devisant de la sorte, ils poursuivirent leur chemin, et, peu à peu, s’approchèrent de la cité. À ce moment-là, les gens qui se trouvaient sur la muraille, chevaliers ou
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