Gauvain
arrogant, rétorqua : « Sache, chevalier, que je n’ai jamais éprouvé la moindre peur, fût-ce lorsque m’attaquait toute une troupe d’hommes en armes. Il est bien insensé, celui qui prétend être mon compagnon de route, à moins qu’il ne le propose pour me défier ! Je n’aspire d’ailleurs qu’à cela, tel est mon unique soin, et je n’ai cure d’assistance. Mais toi-même, appartiens-tu à la maison de quelque comte ou de quelque roi ? » Gauvain s’avoua vassal du roi Arthur. « Eh bien, dit le chevalier, nomme-moi les compagnons d’Arthur et dis-moi, sans faute lequel est le plus estimé à la cour, grâce à sa valeur et à ses exploits.
— Je serais fort en peine de te répondre ! s’exclama Gauvain, car on voue à tous les chevaliers d’Arthur une si grande admiration que je ne saurais auquel accorder la palme. Peut-être au fils du roi Uryen, qui s’est rendu partout célèbre pour ses faits d’armes et sa vaillance. – Tu ne m’as pas nommé celui auquel je m’attendais en te posant cette question. Je ne ferai donc pas un pas de plus, car je pensais à un chevalier qui est mon cousin germain et, en outre, l’un des compagnons de la Table Ronde. Puisqu’en tous lieux ses armes n’ont apparemment pas triomphé, quel besoin aurais-je de le rencontrer ? J’y renonce. » Sur ces mots, il arrêta son cheval. Mais Gauvain lui répondit avec l’habileté qui le caractérisait : « Seigneur chevalier, ne te fâche pas que je ne l’aie nommé d’emblée. Au nom du Dieu éternel, ils sont si nombreux et si célèbres, parmi ceux de la Table Ronde, que j’hésite à te désigner le meilleur. Ne renonce pas pour si peu à rejoindre ton cousin. »
Le chevalier se remit donc en route, suivi de Gauvain qu’il interpella de nouveau : « Si tu veux me plaire, nomme-moi quelque autre pour celui que l’on apprécie le plus à la cour. – J’y songeais, répondit Gauvain. Lancelot du Lac est fort estimé car, été comme hiver, il court après les exploits guerriers. – Par le Dieu qui nous donne une âme, je perds mon temps et, si je poursuis mon chemin, je continuerai de le perdre ! » Tout irrité, il s’arrêta de nouveau. Gauvain lui proposa alors le nom de Kaï, le sénéchal, qui était le frère de lait du roi, et dont chacun saluait la bravoure, quitte à déplorer son étourderie. « En vérité, s’écria le chevalier, il n’y a plus de preux à la cour du roi Arthur ! Je crains de ne plus trouver jamais le sommeil par la faute de ce poltron ! Il a perdu toute mon affection ! Maudites soient l’heure de sa naissance et celle où on l’a cru brave ! Sa vie me fait honte, et je suis bien affligé. » Il voulut alors faire faire demi-tour à son cheval qui se cabra sous les éperons.
« Chevalier, que Dieu te protège, dit-il à Gauvain. Je ne t’accompagnerai pas plus avant. Et plaise à Dieu que jamais plus cruel chagrin ne m’advienne que celui de ne jamais voir l’homme que je cherchais. » Mais Gauvain, au lieu de s’irriter ou de se décontenancer, fit preuve d’une merveilleuse patience et, à force de paroles aimables, sut convaincre le chevalier de poursuivre avec lui. Il voulait en effet le présenter au roi, afin que celui-ci jugeât de sa démesure. Soudain, ils aperçurent devant eux une troupe de cinq cavaliers qui se mirent en ligne pour les attaquer lorsqu’ils traverseraient la lande.
« Voilà une autre musique ! s’écria Gauvain. M’est avis que ces individus, avec leur bouclier au bras, viennent au galop se mesurer à nous ! – Peu m’importent leur insolence et leur audace, dit son compagnon. Je me charge d’envoyer à terre les quatre premiers et si tu as le dessous avec le cinquième, j’en viendrai à bout et te vengerai. » Là-dessus, sans plus discuter, ils empoignèrent leurs lances et s’élancèrent à bride abattue.
L’homme qui prétendait aux quatre devança Gauvain et s’y prit si bien qu’en un seul élan il en abattit deux. Gauvain, qui s’était retenu d’intervenir, afin de l’apprécier à sa vraie valeur, s’élança à son tour sur les autres de toute la vitesse de son cheval. À l’un, il assena un coup mortel qui le renversa de sa selle. Puis il replaça sa lance au creux de son aisselle et au suivant fit adroitement vider de même les arçons. Mais, avant que le chevalier au léopard eût pu rentrer dans la mêlée, le cinquième adversaire détala vers la forêt pour s’y
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