Gauvain
venu faire en ces lieux. Car tel était l’enchantement que la ronde ne comportait jamais qu’un seul chevalier ; celui qui s’y laissait prendre libérait celui qui l’avait précédé.
Passablement abasourdi, Méraugis se remit sur les traces de l’Outredouté, maudissant son retard et galopant comme un fou. C’est ainsi qu’il rattrapa son ennemi sur une grande lande. L’Outredouté le reconnut, se mit en garde et, sans plus attendre, ils se précipitèrent l’un sur l’autre, chacun bien décidé à tuer son adversaire au plus tôt, tant la haine qui les animait était violente. Ils échangèrent des coups vigoureux, se blessèrent mutuellement, se rompirent lances et boucliers, et ce durant de longues heures, mais en vain : aucun ne semblait devoir l’emporter. Cependant, comme le combat s’éternisait, Méraugis pensa très fort à son amie : il devait vaincre l’Outredouté s’il voulait ensuite délivrer Lidoine. Ce projet ranima son courage et lui donna une force nouvelle. Brandissant son épée, il l’abattit sur le heaume de son adversaire et le rompit. Mais, dans son élan furieux, la lame s’enfonça dans le crâne de l’Outredouté qui s’effondra, mort. « Assurément, dit Méraugis, il fallait que ce monstre disparût, lui qui a commis tant de crimes et qui s’est toujours dressé contre la justice ! » Sur cette brève oraison funèbre, il lui trancha la main droite et l’emporta fièrement sur l’encolure de son cheval.
Il était si exténué toutefois par le dur combat qu’il avait mené qu’il dut s’arrêter maintes fois pour se reposer et reprendre souffle. Aussi ne fut-ce qu’à la nuit tombante qu’il se présenta au manoir de Lampagrès. Gauvain s’y trouvait depuis déjà longtemps et tenait compagnie à Lakis. Apercevant Méraugis sur le pré, tous deux se portèrent au-devant de lui. Dès qu’ils se furent salués, Méraugis sauta à terre et offrit à Lakis la main de l’Outredouté. « Lakis, dit-il, j’ai tenu parole, te voilà vengé. » Lakis saisit la main responsable de sa cruelle mutilation et, après quelques instants de silence, prononça ces mots : « Méraugis, je haïssais en toi le responsable de mon malheur. Certes, tu n’as pu me rendre mon œil, du moins m’as-tu rendu mon honneur, que Dieu te bénisse ! Désormais, je serai ton homme lige et te servirai fidèlement chaque fois que tu auras besoin de moi. » Alors, ils se donnèrent l’accolade avant de gagner le manoir où Lakis avait fait préparer le souper.
« A-t-on des nouvelles de Lidoine et de Gorvain Cadruz ? demanda Méraugis avec anxiété. – Oui, dit Gauvain. Gorvain Cadruz l’a emmenée dans sa forteresse. Il fait partout crier ta mort et se déclare le protecteur de ton amie. – Je lui ferai payer cher son imposture ! s’écria Méraugis. – Nous en reparlerons demain, dit Gauvain. Pour l’instant, tu dois te reposer, car tu sembles avoir eu une rude journée ! » Méraugis se rendit aux raisons de Gauvain et, comme Lakis leur avait fait préparer de bonnes chambres, ils y dormirent d’une seule traite jusqu’au matin.
« Selon toi, demanda Gauvain quand ils se furent levés, que devons-nous faire ? – À mon avis, rien d’autre que d’aller trouver Gorvain Cadruz et lui réclamer Lidoine au nom de la justice rendue par le roi Arthur et la reine Guenièvre, répondit Méraugis. S’il refuse de s’y conformer, je suis prêt à l’affronter où et quand il voudra. – Tu as raison, dit Gauvain. Dès que nous serons prêts, nous partirons pour la forteresse de Gorvain. Je veux être le témoin de cette affaire afin d’en rendre compte au roi et à la reine. Je ne saurais tolérer qu’on discute un jugement rendu par la cour. »
Après s’être équipés, ils enfourchèrent leurs chevaux. Mais, au moment de prendre congé de leur hôte, ils le virent, tout armé et monté sur son destrier, venir vers eux. « Je vous accompagne, dit-il, dans l’espoir qu’un homme privé d’un œil puisse être encore utile à quelque chose. » Ils quittèrent le manoir de Lampagrès et s’enfoncèrent dans la forêt. Tous trois connaissaient le chemin qui menait à la forteresse de Gorvain Cadruz. Aussi ne mirent-ils guère de temps pour l’atteindre.
Sans hésiter, Méraugis pénétra dans la cour, suivi de Gauvain et de Lakis. Alerté par le bruit de leur entrée, Gorvain apparut à une fenêtre et demanda qui était là. Méraugis lui cria :
Weitere Kostenlose Bücher