Gisors et l'énigme des Templiers
c’était
un faux prophète, et qu’il n’était pas Dieu. Il me fit renier Jésus-Christ
trois fois, de la bouche, non du cœur. »
On remarquera que, dans ces aveux, comme dans bien d’autres
que nous relatent des documents d’époque, il y a une constante : aucun de
ceux qui avoue ne semble comprendre pourquoi on lui fait renier Jésus et
cracher sur la croix. À moins qu’ils n’aient fait semblant de ne pas
comprendre, on est bien obligé de conclure que les dignitaires du Temple
étaient de parfaits imbéciles : ils ne se sont jamais posé de question sur
ce rite bizarre, ils l’ont accepté à contrecœur, mais ils l’ont quand même
accepté, et surtout, quand ils sont arrivés à de hautes dignités, ils n’ont
rien fait pour y mettre fin. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Les
partisans inconditionnels de l’innocence des Templiers nous prendraient-ils
pour des naïfs ? Comment expliquer ce détail, reconnu par Geoffroy de
Cernay, concernant un faux prophète qui n’est pas Dieu ? Dans l’accusation, il n’en est pas question : on ne parle que d’un
reniement. Alors ?
En bonne logique, nous devons reconnaître que Philippe le
Bel était bien informé. Les chefs d’accusation n’ont pas été établis au hasard,
et ne peuvent être confondus avec les fantasmes projetés dans les accusations
contre les sorcières. Ici, tout est net et précis. Et sur cent trente-huit
Templiers arrêtés et interrogés sans torture tous ont avoué le reniement du
Christ et les baisers obscènes. Tous, sauf trois. Quant aux autres chefs
d’accusation, homosexualité et non-consécration, tous les ont niés. Seules la
cordelette et l’idole ont été reconnues par certains, mais avec tellement de
variantes dans les détails qu’il est difficile d’y voir très clair. Mais le
reniement du Christ, ou plutôt de Jésus , est une
constante.
C’est d’ailleurs là-dessus que Philippe le Bel avait attiré
l’attention des officiers royaux et des inquisiteurs. Il semble qu’il savait à
quoi s’en tenir. C’est donc là que réside sans doute le grand secret du Temple,
l’unique secret peut-être. Le reste n’est que poudre aux yeux. Et si ce secret
donne lieu à de nombreux commentaires, il est bien loin d’être élucidé.
Quoi qu’il en soit, les ordres de Philippe le Bel furent
suivis à la lettre dans tout le royaume. Dans les autres pays, les Templiers ne
furent pas tout de suite inquiétés, et lorsqu’ils le furent, ce fut d’une façon
très modérée, et généralement sans recours à la torture. Au Portugal et en
Espagne, ils s’en tirèrent tous indemnes en formant d’autres ordres. En
Angleterre, ils purent se mettre à l’abri. En Écosse, la persécution fut
inexistante : et c’est une des raisons pour lesquelles la
franc-maçonnerie, d’origine écossaise, prétend être l’héritière du Temple.
Mais quel était le rôle du pape, dans tout cela ? Il ne
pouvait rester en dehors de l’affaire. Par une bulle du 17 novembre 1307,
il ordonna l’arrestation des Templiers dans toute l’Europe. Puis il demanda à
Philippe le Bel que tous les prisonniers lui soient remis. Parce qu’il ne pouvait
pas faire autrement, le roi de France accepta, et remit aux envoyés du pape un
certain nombre de prisonniers. Mais comme les prisons ecclésiastiques n’étaient
pas assez vastes pour les accueillir, on fut bien content de laisser la plupart
des Templiers dans des prisons civiles. Cependant, au début de 1308,
Clément V, par une décision brutale, casse tous les pouvoirs des
Inquisiteurs. Le pape semble vouloir tout reprendre à la base.
Cette décision est conforme aux lois de l’Église, les
Inquisiteurs ne dépendant que du souverain pontife. En fait, Clément V
essaye encore une fois de gagner du temps. Il reprend l’ensemble du dossier
avant de se lancer dans un procès public, ce qu’il cherche toujours à éviter.
Le roi de France est furieux. Les Templiers vont-ils lui
échapper ? Le peuple, plein de haine contre les Templiers, qu’il sait
riches et arrogants, et qu’on lui a dépeints comme des monstres, commence à
murmurer que le pape s’est laissé acheter par eux. On adresse des pétitions au
roi pour lui demander la mort des coupables. Visiblement, l’opinion publique
est pour Philippe et contre le Temple.
Cependant, le roi est indécis. Le terrain sur lequel il
s’avance est très mouvant. Heureusement, il est fort bien conseillé par
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