Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Grand-père

Grand-père

Titel: Grand-père Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marina Picasso
Vom Netzwerk:
tasse de thé sans sucre, la douche et le chemin du travail.
    Comme ma mère n’a plus de compagnon et se trouve tributaire
de ses quelques connaissances pour se déplacer, j’achète une Coccinelle.
    « Économe  – solide  – jamais en panne »,
affirme le prospectus que j’ai découvert dans notre boîte aux lettres. Après
mille tractations, le concessionnaire Volkswagen accepte que je la paie en cinq
ans.
    « C’est bien parce que c’est vous ! »
    Pour une fois, le nom de Picasso m’accorde un crédit qui, tous
les mois, équivaut au quart de mon salaire.
    Ma mère est ravie de mon acquisition.
    « Marina, en sortant de l’hospice, pense à prendre chez
l’épicier le sac à provisions que j’ai laissé chez lui ! »
    « Marina, puisque tu es motorisée, passe à la pharmacie
et surtout n’oublie pas de faire tamponner la feuille de soins que je leur ai
remise ! »
    « Marina, n’oublie pas que tu dois me conduire au
laboratoire d’analyses ! »
    Je suis son commis, son chauffeur, sa servante. Que lui
importe si, après mon travail, je tombe de fatigue. Je suis là pour la servir.
    Mon père ne cherche à me voir que pour parler de Picasso.
    « Jacqueline lui a fait installer un ascenseur à Notre-Dame-de-Vie .
Il a de plus en plus de mal à se déplacer. Il refuse de me voir. Qu’en
penses-tu, Marina ? »
    Aucune question sur mes activités. Simplement, ces mots :
    « J’espère que ton grand-père va bien. Appelle-moi si
tu as de ses nouvelles. »
    Pablito est de plus en plus taciturne. Je suis maintenant la
seule avec qui il veut communiquer.
    — Tu te souviens des après-midi que nous passions avec
notre grand-mère Olga ?
    — Mais bien sûr, Pablito.
    — Et des légendes qu’elle nous racontait dans sa langue
maternelle ?
    — Elle nous aimait, Pablito.
    — J’aimerais être avec elle.
     
    Dimanche 8 avril 1973. Comme tous les dimanches, je
suis de garde à l’hospice de Vallauris. À part quelques enfants qui hurlent
dans leur chambre, le service est relativement calme. L’infirmière qui me
remplace vient d’arriver. Ma journée se termine. Je vais pouvoir quitter mon
poste.
    Devant l’entrée de l’hospice, Pablito. Il est venu avec sa
mobylette. Il se précipite vers moi et me lance d’une voix qui se brise dans sa
gorge :
    — Grand-père… grand-père. Il est mort !
    Grand-père, mort ? Je ne veux pas y croire.
    — C’est pas vrai, Pablito ? Comment l’as-tu appris ?
    — À la radio. Il est mort ce matin à onze heures
quarante. Une crise cardiaque.
    Il reprend son souffle et ajoute, survolté :
    — Une crise cardiaque consécutive à un œdème pulmonaire.
C’est… c’est ce qu’ils ont dit.
    Je suis atterrée. Grand-père mort sans que nous l’ayons revu.
Mort seul avec Jacqueline à Notre-Dame-de-Vie . Mort dans sa forteresse.
    En pleine solitude.
    À la télévision, la ruée des journalistes, le portail
surmonté de ses fils de fer barbelés, les cars de la gendarmerie et la voix du
speaker :
    « Hier, nous a confié son secrétaire Miguel, Picasso
faisait encore sa promenade dans le parc au bras de Jacqueline Picasso. Cette
dernière n’a pas voulu nous recevoir. Elle est anéantie de douleur. Le médecin
de famille veille sur son état de santé. »
    Nous devons prévenir notre père. Pablito téléphone à Paris. Une
voix lui répond que notre père est descendu sur la côte d’Azur.
    Sur la côte d’Azur. Oui, mais où ?
    Pablito appelle les hôtels où notre père a l’habitude de
descendre. Au quatrième coup de fil, le concierge lui répond qu’il vient de
partir pour Notre-Dame-de-Vie .
    — Essayez de le joindre ce soir.
    Le soir, rien. Le lendemain, notre père répond à Pablito :
    — Les obsèques ont lieu demain dans la plus stricte
intimité. Jacqueline a demandé que personne n’y assiste. Je te rappellerai.
    Pablito est révolté. De plus en plus nerveux. Au bord des
larmes.
    — Même si je dois faire le siège, je verrai mon
grand-père. C’est mon droit. Personne ne me le retirera.
    Je tente de le calmer.
    — Pablito, il y a si longtemps que nous ne sommes plus
reçus. Cela ne sert à rien.
    En dépit de mes conseils, l’après-midi même, Pablito prend
sa mobylette pour se rendre à Notre-Dame-de-Vie . Coups de sonnette à la
grille. Personne ne répond. Pablito insiste. Un gardien surgit, flanqué des
deux afghans.
    — Décampez ! lui lance-t-il. Vous ne pouvez pas
entrer.

Weitere Kostenlose Bücher