Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Grand-père

Grand-père

Titel: Grand-père Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marina Picasso
Vom Netzwerk:
J’ai des ordres de M me  Picasso.
    Pablito s’obstine :
    — Je vous ordonne d’ouvrir. Demain, on enterre mon
grand-père. Je veux lui dire adieu.
    — Foutez le camp ! hurle le garde-chiourme. Disparaissez
ou je lâche les chiens !
    Comme un diable, il sort de la propriété, bondit sur le
vélomoteur de Pablito qu’il lance dans un fossé.
    Derrière la grille, les chiens s’égosillent, babines
retroussées.
    À l’intérieur de Notre-Dame-de-Vie , enveloppé d’une
cape noire espagnole brodée, Picasso repose dans son cercueil. À son chevet, Jacqueline
et notre père.
    Ils n’ont rien entendu.
     
    Prostré dans notre chambre, Pablito refuse de parler, de
manger, de nous voir. Pour le laisser seul, j’ai dormi cette nuit sur le canapé
du salon. Pour une fois, ma mère se fait discrète. Elle ne le montre pas, mais
je pense que la mort de mon grand-père lui ôte un poids énorme. Elle ne
souffrira plus et, surtout, nous ne souffrirons plus.
    — À quoi bon, me glisse-t-elle, se mettre dans cet état ?
    Cet état dont elle est en partie responsable et comptable.
    Alain, l’ami de toujours, le copain qui nous aidait à
rafistoler le youyou des jours heureux, est là. Timidement, il passe une tête
dans la chambre où s’est enfermé Pablito.
    — Ça va bien ?
    — Ça va, répond mon frère.
    — Veux-tu que l’on parle ?
    — Non, je préfère me reposer. J’ai besoin de sommeil.
    Ma mère aussi est allée se coucher. Avant de nous quitter, elle
me souffle :
    — N’oublie pas que demain tu viens me chercher à l’hôpital
où je dois faire mes examens.
    Éternels examens dont elle sortira satisfaite et guérie.
    Jusqu’à la prochaine fois.
    Ma nuit est peuplée de cauchemars : grand-père et ses
yeux. Étincelants, inhumains, de rapace. Prunelles embrasées, hostiles, impitoyables.
Et ce rire. Énorme, sardonique, cruel.
    Je me réveille en sursaut, baignant dans ma sueur.
    Dans sa chambre, Pablito dort.
    Il a laissé la lampe de chevet allumée.
     
    Jeudi 12 avril, neuf heures. Mon frère semble apaisé.
    — Tu as bien dormi, Pablito ?
    — Très bien, me répond-il d’une voix étouffée.
    — Je vais chercher Mienne à l’hôpital. Tu n’as besoin
de rien ?
    — Tout va bien, Marina.
    Je conduis ma voiture. Mienne est à mes côtés. Elle sent que
je n’ai pas envie de parler. Parler de quoi ? Parler de sa tension ? De
son cholestérol ?
    La Fontonne, Antibes, Juan-les-Pins, Golfe-Juan, avenue
Juliette-Adam, le chemin de la Rampe et, tout au bout, la villa La Rémajo où Pablito doit nous attendre. Je conduis pédale au plancher, peste contre les
feux rouges et toutes ces voitures qui asphyxient le trafic en cette période du
festival de Cannes.
    J’ouvre la porte. Poils hérissés, se démenant pour sortir de
la villa, les chats filent entre mes jambes. Prise d’un pressentiment, je
bondis dans le salon. Pablito est là, couché sur le divan. Ses cheveux sont
souillés de sang. Ses cheveux, son visage, sa poitrine. Je me précipite sur lui.
Des bouillons de sang s’échappent de sa bouche. Et cette odeur suffocante, horrible,
délétère, effluve d’hôpital et de morgue : la Javel !
    — Pablito ! Parle-moi !
    J’obtiens un grognement. Il respire.
    Ma mère est affolée. Sa détresse est si forte qu’aucun mot, aucun
cri ne sort de sa bouche. Elle tient entre ses doigts une poche en plastique
froissée, une dose d’eau de Javel.
    L’odeur, l’hémorragie, l’écume sur les lèvres… Pablito l’a
vidée.
    Vite. Il faut faire vite. Je compose le 18, appelle les
pompiers. Mon Dieu, qu’ils fassent vite ! Je consulte ma montre. Il est
onze heures et demie.
    Je dois tenir le coup. Surtout ne pas craquer.
    Enfin ils sont là avec leur civière. Ils chargent Pablito
dans l’ambulance rouge. Je grimpe à ses côtés et lui serre la main.
    — Pablito, c’est ta petite sœur !
    Un flot sort de sa bouche. Il se vide de son sang.
    La sirène et ses rugissements sauvages, le cahot des trottoirs
que le chauffeur doit prendre. Lutter contre le temps. Lutter contre la mort.
    Antibes, l’hôpital de la Fontonne où, ce matin, je suis
allée chercher ma mère, le service des urgences.
    C’est la séparation, avec cette porte vitrée qui se ferme
devant moi.
    — Accroche-toi ! Défends-toi, Pablito !
    L’attente. La tête vide parce que trop de souffrance, trop
de colère, trop de peur.
    Enfin, un médecin. Il s’approche de moi et

Weitere Kostenlose Bücher