Grands Zhéros de L'Histoire de France
emprisonné le 22 janvier 1775. Il sera durement traité et surveillé en permanence. Finalement, au terme du conseil de guerre, il est déclaré coupable le 15 mai 1775, démis de son grade de capitaine de vaisseau, destitué de son statut d’officier de marine du roi et condamné à six ans de forteresse. En 1782, il tentera de se justifier en publiant le récit de ses deux voyages dans les mers australes, mais il n’y fournira aucune explication valable à sa conduite et l’ouvrage sera brûlé pour offense à la justice du roi.
Pendant que Kerguelen purge sa peine au château de Saumur, l’Anglais James Cook parvient à son tour aux îles de la Fortune ; c’est d’ailleurs lui qui va établir à cette occasion la nature insulaire de l’archipel. À propos du nom que porteront désormais ces lieux, il écrit : « J’aurais dû appeler ces îles, îles de la Désolation, mais j’ai préféré leur donner le nom de M. de Kerguelen, qui le premier les a découvertes. »
Les biographies de Kerguelen consultées pour écrire le présent chapitre ne s’accordent pas sur la motivation de Cook au sujet de ce nom de baptême : l’a-t-il choisi en hommage sincère au navigateur français ? Etait-ce au contraire une façon de se moquer de sa décevante découverte ou encore pour braver la France en donnant à ces îles le nom d’un officier qui est alors un proscrit dans son propre pays ?
Il est certain que James Cook devait dans une certaine mesure aux Français d’être parvenu jusqu’à l’archipel des Kerguelen. En effet, lors de son troisième voyage, il avait rencontré à Ténériffe un ancien pilote du capitaine français et, l’année précédente, il avait déjà rencontré au Cap le capitaine Crozet, qui lui avait communiqué la position de sa découverte. (Les îles Crozet se trouvent dans la même zone que les Kerguelen et constituent de nos jours l’un des cinq districts des terres Australes et Antarctiques françaises dites TAAF). Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : ce sont des cartes anglaises qui les premières mentionneront le nom d’« archipel des Kerguelen ». Quant à s’approprier ces îles, jamais les Anglais ne semblent y avoir songé, s’intéressant à juste titre bien davantage à l’Australasie – future Australie – qu’à un archipel inhospitalier perdu entre 50 e hurlants et 40 e rugissants !
Qu’advient-il de Kerguelen après sa captivité ? Libéré en août 1778, il armera un bateau corsaire pendant la guerre d’indépendance américaine, sera capturé par les Anglais, promu contre-amiral sous la Révolution, puis démis de son commandement et emprisonné. À ses heures perdues, il écrira un mémoire portant sur l' Absurdité de ne composer le corps de la marine que de nobles et nous verrons en examinant le cas de Chaumareys et de la Méduse , qu’il ne croyait pas si bien dire.
Le navigateur meurt à Paris le 3 mars 1797, âgé de soixante-trois ans. À l’image de sa vie entière, ses dernières années sont marquées par de constants ballottages entre honneurs, prison et oubli. Il est bien, selon l’expression d’Alain Boulaire, ce « phénix des mers australes », qui jamais ne cesse de renaître de ses cendres et cela restera vrai jusqu’à la fin, puisque au moment même où il meurt dans la solitude, Kerguelen était pressenti pour devenir ministre de la Marine !
Récapitulons les éléments à charge du dossier Kerguelen : abandon intempestif du Gros Ventre , mensonges sur sa découverte, embarquement d’une femme à son bord, trafics en tous genres, désobéissance aux ordres du roi, découverte d’une terre qu’il pourrait par deux fois être le premier à fouler, mais où il ne met jamais le pied, préférant y envoyer des subalternes… il y a là largement de quoi garnir le plateau de la balance côté « zhéros ». Mais considérons maintenant les éléments à décharge.
Qu’ils soient écrits par des navigateurs comme Isabelle Autissier ou par des Bretons comme Alain Boulaire ou Jean-Paul Kauffman, qui nous apprend d’ailleurs dans son livre qu’aucune des bouteilles déposées sur l’archipel n’y fut jamais retrouvée, les ouvrages consacrés à Kerguelen manifestent toujours une grande indulgence envers lui. Sans doute parce que leurs auteurs savent quelle prouesse constitue la navigation dans les eaux souvent déchaînées de l’océan Indien austral. Les rafales de vent peuvent y atteindre plus de
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