Grands Zhéros de L'Histoire de France
Valenciennes et qu’il dut à sa longévité (il disparut à quatre-vingt-huit ans en 1985) d’être le dernier témoin oculaire de la signature de l’armistice à Rethondes. Belle histoire et intéressant candidat au titre de nul que ce monsieur Deledicq : des circonstances grandioses, un grouillot inconnu au bataillon et une bourde monumentale concernant l’un des documents les plus importants de l’histoire du monde moderne !
Emoustillée par cette anecdote prometteuse, je cherchai à me procurer ce très confidentiel Livre des bides , non d’ailleurs sans difficulté, car, à Paris, seule la réserve centrale des bibliothèques municipales en possédait un exemplaire. Lorsque enfin je l’eus en mains, je découvris avec consternation qu’il s’agissait non pas d’un livre français, mais de la traduction, illustrée par des dessinateurs comme Gotlib, Tardi, Cabu ou Bretécher, de The Book of Heroic F ailures , ouvrage publié en 1979 par un nommé Stephen Pile, sujet de Sa Très Gracieuse Majesté britannique. Je m’y plongeai néanmoins fébrilement.
Dès l’introduction, l’auteur donne le ton. Il écrit : « Le succès est très surestimé en dépit de l’évidence quotidienne que le véritable génie humain réside au contraire à l’opposé. » Selon lui, il faut donc d’urgence revaloriser l’échec : « L’espèce humaine perd un temps considérable à se vanter des choses qu’elle réussit, alors que ces infimes touffes d’herbes sont entourées d’immenses champs d’incapacité qui sont beaucoup plus intéressants. » Enfin, il conclut : « J’aimerais remercier tous ceux qui se sont aimablement déclarés les plus mauvais dans leur domaine. Tous ceux qui ont aimablement dénoncé d’autres personnes. »
Dès 1976, Stephen Pile créait une association dont les membres, sélectionnés dans tous les domaines de l’incompétence, donnaient régulièrement des démonstrations publiques de toutes les choses qu’ils ne savaient pas faire, organisant notamment des soirées musicales au cours desquelles ils jouaient d’instruments qu’ils n’avaient jamais pratiqués « jusqu’à accablement total » de leurs auditeurs et d’eux-mêmes ! En 1977, ils organisèrent dans un vieux hangar de l’armée de terre le Salon des incompétents, exposition unique d’« art appauvri », à l’occasion de laquelle leur attachée de presse n’envoya qu’un unique communiqué à un magazine… d’ornithologie ! Cette exposition désastreuse fut suivie du récit mortellement ennuyeux par l’un des membres de l’association de ses vacances ratées au Groenland. Une assemblée générale catastrophique et donc parfaitement conforme aux statuts de l’association.
Publié deux ans plus tard, The Book of Heroic Failures remporta un incroyable succès outre-Manche. Il fit même l’objet d’un second tome, The Return , comportant cet avertissement au lecteur qui se passe de commentaire. : The runaway success of The Book of Heroic Failures was a severe embarrassment to its author !
Pour grisante qu’elle fût, la lecture du livre des « bides anglais » confirmait cependant mon inquiétude : de notre côté de la Manche, la recherche du Nul allait manifestement tourner à la quête du Saint-Graal ! Cette capacité d’autodérision dans laquelle excellent les Britanniques nous ferait-elle totalement défaut à nous Français ? Comment une nation considère-t-elle et « digère-t-elle » ses défaites ? Assume-t-elle ou refoule-t-elle plus ou moins consciemment ses « zhéros » ? N’est-ce pas là un vrai sujet qui mériterait qu’un universitaire lui consacre quelques années d’études ? Sans doute, mais tel n’est pas l’objet du présent livre qui ne prétend ni à l’exhaustivité ni à l’édification des foules, mais à leur divertissement par l’évocation de ces « seconds rôles » qui firent des vagues plus qu’ils ne bouleversèrent notre histoire en profondeur.
Dans les pages qui suivent, je m’en vais donc proposer au lecteur ma sélection personnelle, mon propre « best of » des grands losers de l’histoire de France, un pot-pourri dont certains noms lui seront familiers et d’autres parfaitement inconnus.
À l’exception d’un seul individu, ce florilège de « mauvais » ne comportera que des Français, ce qui est bien la moindre des choses : épingler les nuls de nos voisins quand nous-mêmes sommes si chatouilleux sur les nôtres serait
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