Grands Zhéros de L'Histoire de France
Desfontaines annonça « hautement son intention de se venger ». Pour lui, il était insupportable d’être décrit comme « un homme flétri par la main du bourreau pour le plus sale, le plus infâme de tous les vices » (Charles Nisard). Naturellement, Voltaire aussitôt suspecté jure solennellement qu’il n’est pour rien dans ce texte ; mais Desfontaines n’est pas dupe et le 14 décembre 1738, en réponse au Préservatif, il fait publier, lui aussi anonymement, la Voltairomanie . L’abbé y traite les pièces de Voltaire de « fictions usées et dépassées où il y a autant de fautes contre la langue que de pages », son Temple du goût , de « production d’une tête ivre d’orgueil », son Charles XII , de « l’ouvrage d’un ignorant étourdi, écrit dans le ton badin d’une caillette bourgeoise qui brode des aventures » et les Éléments de Newton de « l’ébauche d’un écolier qui bronche à chaque pas » et d’un « livre ridicule ». Ces critiques sont suivies d’une compilation de toutes les anecdotes scandaleuses du moment sur Voltaire et l’ouvrage se termine sur cette interrogation : quand Voltaire « sera-t-il rassasié d’ignominies » ?
Par malheur pour Voltaire, la Voltairomanie , imprimée en Hollande, connaît immédiatement un succès prodigieux : il s’en vend deux mille en quinze jours, ce qui pour l’époque est extraordinaire ! Desfontaines triomphe, il ne nie même plus en être l’auteur. Mieux même, il organise des lectures de son œuvre dans des salons parisiens, où bien souvent se trouvent des amis du philosophe. Voltaire, qui nie toujours avec la dernière énergie être l’auteur du Préservatif , poursuit Desfontaines en justice pour la Voltairomanie . Il demande que tous les exemplaires en soient brûlés. Pour un homme qui avait écrit : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire », cette attitude manquait singulièrement de cohérence et de panache. Toujours est-il que la menace du tribunal fonctionne, puisque Desfontaines accepte finalement de signer une réfutation dans laquelle il déclare ne pas être l’auteur de la Voltairomanie et la désavouer dans son entier. Il déclare : « Regardant comme calomnies tous les faits qui sont imputés à M. de Voltaire dans ce libelle, je me croirais déshonoré, si j’avais eu la moindre part à cet écrit, ayant pour lui tout le sentiment d’estime dû à ses talents et que le public lui accorde si justement. » Voltaire s’en tire bien. Si la preuve avait été faite de son mensonge à propos du Préservatif , il eût été non seulement traîné en justice mais déshonoré.
Coup de pied de l’âne, alors que ce désaveu signé par Desfontaines devait rester secret, Voltaire le fit publier dans La Gazette d’Amsterdam du 4 avril 1739. Il était vengé, mais ne sortait pas grandi de cette histoire ! Le journal de Desfontaines censuré, sans cesse menacé de suspension, va finalement lui être retiré par l’Académie. Desfontaines mourra quelques années plus tard d’hydropisie, à l’âge de soixante-dix ans en décembre 1745. Au fait, l’hydropisie, n’est-ce pas cette maladie de la grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf ?
Voltaire était débarrassé de Desfontaines, mais ses ennuis n’en étaient pas terminés pour autant, car l’abbé avait fait un brillant émule en la personne de Fréron, élève chez les jésuites, puis professeur à Louis-le-Grand. À force de corriger les devoirs de ses élèves, il se pensait doué pour la critique et se flattait de diriger le goût du public quant aux œuvres nouvelles : « Il louait les uns, flagellait les autres », en particulier Voltaire et les Encyclopédistes, car lui-même était un écrivain religieux. « Si on laisse faire M. Diderot et ses semblables, les lettres et le goût seront anéantis avant dix ans », écrivait-il. Puis dans une lettre de janvier 1758 à Malesherbes, qui est alors directeur de la Librairie du roi, il persifle : « Je n’ai jamais lu toute l' Encyclopédie ni ne la lirai jamais, à moins que je ne commette quelque grand crime et que je ne sois condamné au supplice de la lire. » Et encore ceci toujours à propos des Encyclopédistes : « Ils ne seront jamais que d’insolents médiocres. Je sais ce qu’ils valent et je sens ce que je vaux. »
On mesure dans cette phrase la morgue et la vanité
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