Grands Zhéros de L'Histoire de France
a écrit dans l' Encyclopédie et qu’il est l’ami de D’Alembert, auquel l’influent duc de Richelieu s’oppose auprès du roi. Cela fait donc deux fois déjà que Suard a de gros problèmes à cause de ses amis : par la faute du premier, il a été envoyé en prison et son amitié pour le second l’a privé d’un fauteuil à l’Académie française ! Deux ans plus tard, il est finalement élu à l’Académie et nommé censeur des pièces de théâtre par le roi Louis XV en personne, poste qu’il va occuper jusqu’en 1790. Il va donc pouvoir seize ans durant s’opposer à la représentation de toutes les pièces qu’il juge sulfureuses et dont l’acceptation pourrait lui attirer des ennuis dans sa carrière.
Voilà comment il va interdire, avec d’autres « collègues » censeurs, la représentation de La Folle Journée ou le Mariage de Figaro , de Pierre Augustin Caron de Beaumarchais. La pièce passe des années de leurs mains à celles des protecteurs de Beaumarchais ; en fait, six longues années vont s’écouler en lectures aux censeurs, aux protecteurs et en suppliques au roi lui-même. Instances, démarches, remaniements, pendant tout ce temps, rien n’y fera ! Suard et ses homologues ont bien senti ce qu’il y a de subversif, de trop libre dans cette pièce qui remet en cause l’organisation de la société. Il faudra donc attendre le 27 avril 1784 pour qu’en soit donnée la première représentation publique au Théâtre-Français, actuel théâtre de l’Odéon. Suard avait vu juste : dès le lendemain de la première, tout Paris répète à l’envi les répliques provocatrices du valet Figaro. En mars 1785, Beaumarchais est emprisonné cinq jours à Saint-Lazare pour s’être plaint à mots couverts, dans le Journal de Paris , des réticences royales vis-à-vis de sa pièce. La Folle Journée remporte néanmoins le plus grand triomphe de toute l’histoire de la Comédie-Française : plus de cent représentations en quatre ans. C’est un succès de fronde politique, l’éclair annonciateur de la Révolution française.
Malgré une attitude assez lâche dans l’affaire du Mariage de Figaro , Suard va se montrer plutôt courageux au début de la Révolution, en continuant à afficher ses idées monarchistes dans des revues et à défendre l’existence de l’Académie française menacée de disparition par les révolutionnaires. Mais chassez le naturel… et le jour de l’exécution de Louis XVI, le 21 janvier 1793, il sera le seul de tous les académiciens à se rendre à la séance de travail du jour, touchant ainsi les jetons de présence de l’ensemble de ses collègues. Chic garçon, non ? Et c’est loin d’être terminé ! Pendant la Terreur, il se cache à Fontenay-aux-Roses. Son ami Condorcet recherché pour trahison, chose relativement courante sous la Terreur, se rend chez lui, car Suard s’est engagé à le cacher et à laisser l’une des portes de sa maison ouverte à son intention. Condorcet se présente chez lui et trouve porte close. Il est contraint de s’enfuir, sera arrêté deux jours plus tard à Clamart et mourra après s’être empoisonné dans sa cellule. Suard avait-il décidé qu’il avait eu suffisamment d’ennuis comme cela dans la vie à cause de ses amis ? Pour la petite histoire, le nom de jeune fille de Sophie de Condorcet, épouse du savant, était… Grouchy ! Entre son grand ami Suard, qui refusa l’asile à son mari en fuite, ce qui coûta la vie à celui-ci, et son frère, grand zhéro de Waterloo, la malheureuse vivait entourée d’une belle équipe de cadors !
Notre censeur survit à la Révolution, et sous l’Empire il est nommé censeur honoraire des théâtres, mais surtout secrétaire perpétuel de l’Académie française. C’est à ce titre qu’il va procéder à l’épuration de l’Institut de France, dont il purge alors tous les éléments jugés indésirables. La notice bibliographique de Suard, éditée par l’Académie française, exprime la chose en des termes feutrés : « Il prit une part regrettable à la réorganisation de 1816, en collaborant avec le comte de Vaublanc à l’établissement des listes d’académiciens et par conséquent de ceux qui devaient être exclus. » « Regrettable » en effet d’avoir à dénoncer des collègues et amis ! Récapitulons les exploits de Jean-Baptiste Suard : censeur des pièces de Beaumarchais, lâche ayant refusé l’asile à son ami Condorcet, seul
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