Grands Zhéros de L'Histoire de France
Zhéros
Les ratés ne vous rateront pas.
Bernanos .
1.
Desfontaines, Suard et Népomucène
La première partie de ce chapitre concerne des individus doués d’un talent médiocre qui s’escrimèrent à mettre des bâtons dans les roues aux authentiques génies qu’ils côtoyèrent. Les exemples ne manquent pas de ce genre de losers ayant vécu dans l’ombre de géants, mais nous en avons retenu trois : Pierre-François Desfontaines, Jean-Baptiste Suard et Népomucène Lemercier. Ces noms ne vous disent rien ? Ceux de Voltaire, Beaumarchais et Victor Hugo auxquels ils sont étroitement liés vous parlent-ils davantage ?
L’abbé Desfontaines
Voltaire eut beaucoup d’adversaires acharnés parmi les critiques : Fréron, Palissot de Montenoy, La Baumelle et Piron, pour ne citer que les plus constants. Mais il n’eut qu’un seul véritable ennemi en la personne de Pierre François Guyot Desfontaines (1685-1745), dit aussi l’abbé Desfontaines, parce qu’il avait été prêtre avant de se lancer dans le journalisme. Le portrait que fait de lui Charles Nisard dans Les Ennemis de Voltaire en fait, selon nous, un candidat d’élite au zhéroïsme. À son propos, Nisard écrit : « L’abbé Desfontaines n’était pas un homme du monde, il était épineux, absolu et pédant. » L’auteur poursuit en dépeignant son esprit étriqué et envieux que blessait la célébrité des autres. Plus traducteur qu’auteur, Desfontaines publie sous son nom une œuvre prolifique et soporifique dont la moitié au moins n’est pas de sa main. C’est en tout cas ce que prétendait son contemporain l’abbé de La Porte. Auteur frustré, il va passer maître dans l’art de critiquer les autres, et ce d’autant plus impitoyablement qu’il enrage de ne pas être à leur niveau. Par chance pour lui, il est amené à exercer ses talents de critique dans une époque où le public n’attend pas des feuilles littéraires qu’elles soient justes et modérées mais plutôt iniques et insolentes. C’est une exigence du temps à laquelle Desfontaines se pliera toujours avec zèle. Piètre poète, il se venge de la poésie : « Notre Parnasse moderne est une galère et nos rimeurs, des forçats ! » écrit-il dans sa revue Jugement sur les écrits nouveaux . À défaut de pouvoir se montrer l’égal de Voltaire dans la prose ou la tragédie, il va le tourmenter pendant des années par des critiques onctueuses, tournées de telle manière qu’elles ressemblent presque toujours à des injures.
À tous ses défauts déjà énoncés, Desfontaines allait ajouter celui d’une ingratitude noire envers Voltaire, qui lui avait pourtant sauvé la mise alors qu’il risquait la peine de mort. L’abbé, surpris dans les bras d’un jeune homme, avait en effet été emprisonné comme « sodomite » à la prison de Bicêtre. Grâce aux interventions de Voltaire, il sort de prison au bout de quelques jours. Éperdu de reconnaissance, il écrit alors à son bienfaiteur : « Vous êtes l’ami le plus essentiel qui ait jamais été. » Après quoi, Desfontaines supplie Voltaire d’intervenir à nouveau en sa faveur pour faire mettre un terme à l’exil auquel il a été condamné. Mais alors même que le philosophe agite la cour et la ville pour aider l’abbé, celui-ci exhibe à ses amis un libelle rédigé en prison, dans lequel il raille et diffame son bienfaiteur ! Intitulé Apologie de Voltaire adressée à lui-même , ce libelle que Desfontaines fait publier dès sa sortie de prison est une critique de La Henriade , dont il n’aura même pas le cran d’avouer qu’elle est de sa main. Voilà donc qu’il nous faut encore ajouter la lâcheté à une liste d’aptitudes à la médiocrité qui qualifie Desfontaines haut la main pour notre palmarès de zhéros de l’histoire.
Voltaire sait parfaitement que Desfontaines est l’auteur du libelle en question mais il va rester stoïque et prendre sur lui. Pendant dix ans, « ne se croyant pas lié par la reconnaissance au point de manquer à ses devoirs comme journaliste (28) », Desfontaines va « démolir » amicalement dans ses Observations sur les écrits modernes les œuvres de Voltaire. Parfois, le philosophe réagit, se défoule à son tour en faisant publier des vers anonymes, dont nul n’ignore qu’il en est l’auteur :
« Cent fois plus malheureux et plus infâme encore,
Est ce fripier d’écrits que l’intérêt décore,
Qui vend au plus offrant
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