Grands Zhéros de L'Histoire de France
son encre et ses fureurs,
Méprisable en son goût, détestable en ses mœurs,
Médisant qui se plaint des brocards qu’il essuie,
Satyrique ennuyeux disant que tout l’ennuie,
Criant que le bon goût s’est perdu dans Paris,
Et le prouvant très bien, du moins par ses écrits. »
Fine mouche, Voltaire se fait toujours le champion des auteurs épinglés par l’abbé avant de défendre ses propres œuvres, ce qui lui vaut leur amitié et leur admiration, tandis que son ennemi se fait cordialement détester de tous les gens de lettres.
Instruit de la mauvaise presse que lui fait le philosophe, Desfontaines ne prend bientôt plus la peine d’enrober ses critiques dans le miel, il trempe au contraire sa plume dans le vitriol. À propos de la tragédie La Mort de César , il écrit : « Cette tragédie (si l’on peut lui donner ce nom) malgré tous ses défauts porte l’empreinte de son auteur ; c’est-à-dire d’un grand génie et d’un grand écrivain […] on y admire de fort beaux vers […] mais qu’il y en a de faibles et de durs. Que d’expressions vicieuses, que de mauvaises rimes. »
À quoi Voltaire riposte en écrivant : « Les observations de M. Desfontaines sont des outrages qu’il fait une fois par semaine à la raison, à l’équité, à l’érudition et au goût. » Un jour, Desfontaines informe Voltaire qu’il souhaite publier l’une de ses épîtres. Or il s’agit d’une lettre strictement confidentielle dans laquelle Voltaire fait état de sa liaison clandestine avec Mme du Châtelet. En leurs noms à tous deux, Voltaire fait savoir à Desfontaines qu’il refuse que son épître soit publiée et qu’il considérerait cela comme une injure. Indifférent aux adjurations voltairiennes, Desfontaines publie l’épître mettant la liaison de Voltaire et de Mme du Châtelet sur la place publique. Au moment où amant, femme et mari vont porter l’affaire devant le garde des Sceaux, Desfontaines, mis en cause par l’Académie française pour une lettre insultante, se retrouve à nouveau en prison, au Châtelet cette fois.
Dans ces circonstances, Voltaire, qui n’est pas encore membre de l’Académie et ne la porte pas dans son cœur, renonce à poursuivre Desfontaines devant les tribunaux : « L’abbé Desfontaines est malheureux, et dès ce moment je lui pardonne », écrit-il magnanime. Par contre, il laisse circuler dans Paris une ode contenant ces vers infamants et évidemment anonymes : « C’est Desfontaines, c’est ce prêtre, venu de Sodome à Bicêtre. » Désormais c’est la guerre des tranchées en attendant une « ventilation façon puzzle » à la Tontons flingueurs.
Quand Voltaire publie anonymement L’ Enfant prodigue , Desfontaines sachant très bien qu’il en est l’auteur écrit : « Sans vouloir en dévoiler le mystère, je dirai que le grand poète peut quelquefois se dégrader en offrant du bas et du trivial ; qu’il peut mettre sur la scène des rôles insipides qu’il a cru de bon goût dans son cabinet. » Lorsque Voltaire doit fuir en Hollande, parce qu’il est recherché pour avoir écrit un ouvrage dans lequel il narre de façon assez leste la vie d’Adam et Eve au paradis, c’est probablement Desfontaines qui l’a dénoncé. Puis quand il publie, depuis son exil, les Éléments de Newton, commentaire de la pensée du physicien dont le sous-titre est : « Mis à la portée de tout le monde », Desfontaines, même s’il n’en est pas l’auteur, colporte à cœur joie la formule ainsi modifiée : « Mis à la porte de tout le monde. »
Cette fois-ci, c’en est trop ! Voltaire va « sortir la grosse artillerie ! » La bombe à retardement s’intitule : Le Préservatif , petite brochure d’une quarantaine de pages contenant une réfutation des critiques de l’abbé dans les Observations et le récit par le menu de ses turpitudes, de son ingratitude et de son déshonneur. Publié sous le nom du chevalier de Mouhy, homme de paille grassement payé par. Voltaire, Le Préservatif paraît en 1738, agrémenté d’une gravure absolument ignoble représentant Desfontaines à genoux en train de se faire fustiger. L’épigramme suivante y figure : « Jadis curé, jadis jésuite, Partout connu partout chassé, Il devint auteur parasite, Et le public en fut lassé. Pour réparer le temps passé, Il se déclara sodomite ; À Bicêtre il fut bien fessé. Dieu récompense le mérite. »
Transporté de fureur et de rage,
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