Grands Zhéros de L'Histoire de France
que, en tant qu’ennemi irréductible du romantisme, il s’opposa par deux fois à l’élection de Victor Hugo à l’Académie française ! Un nain interdisant à un colosse l’accès au Panthéon de la littérature. On croit rêver ! Lors de ses deux premiers échecs, Victor Hugo se vit souffler le fauteuil qu’il convoitait par MM. Dupaty (élu le 18 février 1836) et Mignet (élu le 29 décembre suivant). À la suite de ces revers, il présenta systématiquement sa candidature à chaque fauteuil vacant.
Il sera à nouveau en lice en 1839. L’apprenant, Honoré de Balzac retirera sa propre candidature, car il jugeait le talent d’Hugo supérieur au sien, considération qui, pas plus qu’elle n’avait frappé Dupaty et Mignet, ne sembla effleurer Michaud, face auquel Hugo échoua à nouveau cette année-là. Lorsque Hugo fut finalement élu, le 7 janvier 1849, avec 17 voix sur 32, à qui croyez-vous qu’il succéda ? À Népomucène Lemercier bien sûr, ce qui allait le mettre, le jour de sa réception à l’Académie, dans l’obligation de prononcer l’éloge de celui-là même qui n’avait jamais cessé de lui tirer dans les pattes ! Cela ne manquait pas de sel ! Comment Hugo allait-il se tirer de ce mauvais pas ? Comment complimenter une œuvre littéraire dépassée, complexe et embrouillée, qu’Hugo jugeait probablement indigeste et médiocre par rapport à la sienne ?
Le. nouvel académicien prononça son discours de réception le 5 juin 1841, un an tout juste après la disparition de Népomucène, mort le 7 juin de l’année précédente. Il se tira d’affaire en faisant davantage un discours politique qu’un traité de littérature. « On ne savait pas bien si l’on se trouvait assis dans le sanctuaire des lettres ou si l’on ne s’était pas par hasard fourvoyé dans une enceinte législative », écrivit à l’époque Charles Magnin dans la Revue des Deux Mondes. L’éloge de Népomucène consiste en réalité en un mélange subtil de compliments et de critiques. Il débute son pensum en associant Lemercier aux grands écrivains français qui résistèrent à Napoléon. Népomucène se retrouve donc en bonne compagnie avec Mme de Staël, Chateaubriand, Benjamin Constant, Ducis et Delille. « Six penseurs restés seuls debout dans l’univers agenouillé […]. Six poètes irrités contre un héros [qui] représentaient la seule chose qui manquât alors à la France : la liberté. »
Hugo poursuit son dithyrambe : « Il était un homme que Bonaparte avait aimé […] cet homme, messieurs, c’était M. Lemercier. Nature probe, réservée et sobre ; intelligence droite et logique ; imagination exacte et pour ainsi dire algébrique […] né gentilhomme mais ne croyant qu’à l’aristocratie du talent ; né riche mais ayant la science d’être noblement pauvre ; modeste d’une sorte de modestie hautaine ; doux, mais ayant dans la douceur je ne sais quoi d’obstiné. » Après ces amabilités doucereuses suivent des propos pour le moins équivoques : « Il paraissait avoir mis autant d’amour-propre à se tenir toujours de plusieurs années en arrière des événements que d’autres en mettent à se précipiter en avant […]. Son opinion politique dédaigneuse de ce qui lui semblait le caprice du jour était toujours mise à la mode de l’an passé. » De nos jours on dirait de Népomucène qu’en fait d’intuition politique il avait toujours un métro de retard !
Hugo raconte ensuite à ses auditeurs que Lemercier assistait tous les matins aux séances de la Convention sous la Révolution et qu’un jour, alors qu’il y arrivait plus tard qu’à l’ordinaire, l’une des tricoteuses habituées à l’y voir quotidiennement dit à sa commère : « Ne te mets pas là, c’est la place de l’idiot ! » Quatre ans plus tard, en 1797, l’idiot donnait à la France Agamemnon , ajoute Hugo. Qu’apporte cette anecdote dans le fil de son discours ? De toute évidence absolument rien, sinon la satisfaction pour Hugo de pouvoir qualifier Népomucène d’idiot, en mettant cette insulte dans la bouche d’une autre personne que lui ? Mais ça n’est pas fini ! Evoquant la Panhypocrisiade , œuvre monumentale et pompeuse en alexandrins, dédiée au grand Dante par Népomucène, Victor Hugo parle de : « Cette Panhypocrisiade qui est tout ensemble une épopée, une comédie et une satire, sorte de chimère littéraire, espèce de monstre à trois têtes qui chante, qui
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