Hamilcar, Le lion des sables
bateaux
fussent obligés de mouiller au large, dans la baie, pendant plusieurs jours
avant d’être autorisés à pénétrer dans le chenal.
C’est la raison
pour laquelle la corporation des marchands avait obtenu du Sénat l’autorisation
d’aménager le débarcadère situé en dehors de la muraille. Ils pouvaient y faire
débarquer leurs marchandises et réapprovisionner leurs bateaux qui repartaient
vers l’Espagne, la Sicile ou la Sardaigne en évitant de perdre un temps
précieux. Pareil privilège n’était pas accordé aux marchands étrangers,
contraints d’attendre qu’un anneau d’amarre se libère.
Autant le
port marchand était familier à Hamilcar et à ses compagnons, autant ils
ignoraient tout du coton, le port militaire, où était installé le bâtiment de
l’Amirauté. C’était l’endroit le mieux protégé de Carthage, plus sans doute que
les salles où le Sénat entreposait le montant des tributs et des impôts levés
dans tous les territoires placés sous son autorité. Nul ne pouvait y pénétrer
s’il n’était porteur d’un laissez-passer en bonne et due forme ou inscrit sur
le registre, soigneusement tenu à jour, des employés des arsenaux.
Les
travailleurs qui logeaient en ville devaient jurer de ne fournir à quiconque,
sous aucun prétexte, le moindre renseignement sur le port militaire et ses
installations. Le Sénat disposait d’informateurs à l’affût des ragots, et
quelques imprudents, auxquels la boisson avait délié la langue, avaient expié
cette faute sur une croix après avoir été longuement torturés pour leur faire
avouer l’identité de leurs interlocuteurs. L’avertissement avait été compris
et, depuis longtemps, l’on n’avait plus signalé d’entorse à la règle. Celle-ci
s’appliquait à tout individu, quel que fut son rang. En tant que membre du
Conseil des Cent Quatre, Adonibaal, par exemple, se rendait fréquemment pour
des tournées d’inspection à l’Amirauté. Il n’en avait jamais parlé à son fils
alors qu’il lui était arrivé de lui raconter par le menu certaines séances
particulièrement houleuses au Sénat.
Chaque
fois qu’il se rendait au port marchand, Hamilcar contemplait de loin l’enceinte
circulaire derrière laquelle se trouvait le coton. De temps à autre, il voyait
des navires massifs, des trirèmes ou des quinquérèmes, équipés de lourds
éperons placés à l’avant, s’engager dans le port marchand puis gagner la haute
mer. Lorsque les convois de blé en provenance de la Sicile et de la Sardaigne
étaient annoncés, c’était par dizaines que les navires de guerre de Carthage se
portaient à leur rencontre. Ils semblaient sortir d’une boîte mystérieuse qui
enfermait en son sein la source véritable de la puissance de la cité. Ce
secret, Hamilcar, aujourd’hui, allait le percer.
Avec
Épicide et Juba, il se présenta au poste de garde établi au pied de l’enceinte
circulaire.
— Halte,
fit l’officier en faction avec ses hommes. Qui êtes-vous et que
voulez-vous ?
— Je
suis Hamilcar Barca, fils d’Adonibaal, et voici mon précepteur ainsi que mon
aide de camp. Je suis chargé par le Conseil des Cent Quatre d’apporter un
message à Hannon et je dois m’embarquer pour Messine.
— Je
vous attendais. Vos bagages sont déjà arrivés et ont été inspectés. Je vais
vous faire conduire à l’Amirauté où Magon souhaite te rencontrer.
Les trois
hommes prirent place à bord d’une barque qui s’éloigna du quai, longea la
muraille circulaire et se présenta face à l’entrée du port militaire. Le frêle
esquif pénétra dans un étroit boyau. À sa sortie, Hamilcar, Juba et Epicide ne purent
s’empêcher de pousser un cri d’émerveillement. Le port constituait un cercle
parfait divisé en deux cent vingt loges dont chacune était ornée en son devant
de deux colonnes ioniques. Dans chacun de ces emplacements, utilisés pour le
radoub et l’hivernage, des magasins avaient été aménagés. On y stockait les
agrès et les voiles. Un ingénieux système de cordes et de poulies permettait de
maintenir les navires hors de l’eau afin de pouvoir réparer leurs parties
inférieures. Au milieu du port, se trouvait une île dont les quais avaient été
aussi disposés en loges bordées de colonnes supportant un toit agencé en
terrasses et surmonté d’une tour d’où l’amiral pouvait observer ce qui se
passait dans le port marchand et dans la baie. L’ensemble était conçu
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