Hamilcar, Le lion des sables
colonnes
de Melqart. Je me souviens comme si c’était hier de ces longues semaines de
navigation uniquement à la rame sous un soleil brûlant. Les voiles étaient
devenues inutiles puisqu’il n’y avait pas le moindre souffle de vent. À perte
de vue, la mer semblait dormir. Quant au rivage, que nous apercevions au loin,
c’était une longue succession de dunes de sable. On ne voyait aucun arbre ni
aucun buisson. Nous n’avons même pas cherché à accoster car il était impensable
que des hommes puissent vivre là dans cette terre oubliée des dieux.
— Il
vous fallait pourtant trouver du ravitaillement.
— Ce
n’est qu’après plusieurs mois que nous sommes parvenus à l’embouchure d’un
grand fleuve, celui que Hannon avait appelé le Lixos [19] et qui vient sans doute de la Libye. Contrairement à ce que je redoutais,
les habitants du lieu ne se sont pas enfuis à l’approche de nos navires.
Visiblement, avant le mien, d’autres navires de Carthage, appartenant
probablement à des commerçants, avaient atteint cet endroit. Ces diables de
marchands entourent leurs opérations de tellement de secrets qu’ils se gardent
bien de révéler, même à nous les militaires, les routes qu’ils empruntent et
les ports qu’ils fréquentent. Souviens-t’en, Hamilcar, les négociants, que tu
es censé protéger, seront parfois tes plus farouches ennemis. Ils n’aiment pas
qu’on empiète sur leur terrain et ils le font payer cher à ceux qui osent
affronter leur courroux.
— Parle-moi
de ces Lixites. Qui sont-ils ?
— Ils
ont la peau très noire et vivent essentiellement de l’élevage. Ils emmènent
leurs troupeaux paître le long du fleuve et ils craignent plus que tout les
attaques des Ethiopiens qui vivent, paraît-il, dans des montagnes
inaccessibles, au milieu des bêtes féroces. Ils n’ont ni or ni argent et
s’habillent avec l’écorce des arbres. Ils sont toutefois très hospitaliers et
nous avons pu, grâce à eux, faire provision d’eau et de viande avant de
reprendre notre route.
— Avaient-ils
entendu parler des cités fondées par Hannon ?
— Hamilcar,
je retrouve en toi le jeune homme que j’étais. Tu as les mêmes réactions que
moi. La seule raison pour laquelle je n’ai jamais rebroussé chemin tout au long
de ce voyage particulièrement éprouvant, c’était l’espoir de découvrir un jour
les descendants des compagnons d’Hannon. Je rêvais de voir un jour des hommes
et des femmes venir à notre rencontre sur le rivage et nous saluer en parlant
notre langue. Lorsque j’ai posé la question aux Lixites par l’intermédiaire
d’un interprète, ils ont tendu leur bras vers le sud. J’ai donc continué ma
route.
— Pendant
longtemps ?
— Entre
l’embouchure du Lixos et l’endroit où j’ai finalement décidé de rebrousser
chemin, il y a plus de distance qu’entre le Lixos et Carthage. Cela peut te
donner une idée de ce que fut ce périple. Petit à petit, les dunes de sable ont
cédé la place à la forêt, une forêt dense et épaisse comme je n’en ai jamais
vu. Celui qui deviendrait maître de ces territoires pourrait construire une
flotte innombrable. Les arbres sont beaux et robustes. Certains dégagent même
des odeurs agréables.
— As-tu
pénétré à l’intérieur des terres ?
— Non.
Cette forêt est comme une muraille naturelle. Il est pratiquement impossible de
s’y frayer un chemin et j’avais peur qu’en mon absence notre navire ne soit
attaqué par les tribus du lieu.
— As-tu
eu des contacts avec elles ?
— Oui.
J’ai procédé comme le font, partout ailleurs, les marchands carthaginois. Ils
allument des feux sur le rivage pour signaler leur présence et débarquent les
produits qu’ils ont amenés avec eux. Puis ils regagnent leurs navires. Les
habitants viennent alors examiner les marchandises et déposent à leur tour les
objets qu’ils veulent échanger. Les Carthaginois reviennent et examinent ce que
les indigènes ont laissé. S’ils estiment que cela est suffisant, ils prennent
les marchandises. Sinon, ils laissent les indigènes apporter d’autres produits
jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé. Je n’ai pas agi différemment. De la sorte,
j’ai pu faire provision d’or, de peaux d’animaux féroces et de défenses
d’éléphants en échange d’huile, de poteries, d’armes et d’étoffes.
— Jusqu’où
es-tu allé ?
— Jusqu’à
un immense golfe, celui qu’Hannon appelait la
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