Hamilcar, Le lion des sables
de telle
manière que les arsenaux et le port militaire étaient invisibles de
l’extérieur.
La barque
se dirigea vers l’île où Hamilcar fut seul autorisé à débarquer. Un officier le
conduisit par un escalier plutôt raide en haut de la tour, dans une vaste pièce
circulaire où Magon, entouré d’une foule de scribes, se tenait le plus souvent.
L’amiral dictait des ordres pour ses capitaines. Il s’interrompit lorsqu’il
aperçut Hamilcar :
— Bienvenue
à toi, fils d’Adonibaal. Ton père et moi sommes de vieux amis et j’ai tenu à te
saluer avant ton départ. Je n’ai rien de précis à te dire si ce n’est que le
commandant de ta quinquérème est un marin expérimenté. Tu peux avoir toute
confiance en lui. Pardonne-moi de ne pouvoir te consacrer plus de temps mais
j’ai beaucoup de travail depuis quelques jours. Je te souhaite un bon voyage.
Hamilcar
se retira et retrouva ses compagnons qui trompaient l’attente en plaisantant
avec les rameurs. Ils gagnèrent la loge où était amarrée leur quinquérème et
montèrent à bord par une échelle de corde lancée du pont. Un homme à la barbe
drue et au teint hâlé était là pour les accueillir.
— Je
suis Abdmelqart, capitaine de ce navire et je vous souhaite la bienvenue. J’ai
fait aménager deux pièces à l’arrière du pont à votre intention. Je crains
fort, Hamilcar, qu’elles ne soient infiniment moins confortables que celles de
ta résidence de Mégara où ton père m’a jadis invité à dîner. Nous autres marins
sommes habitués à une vie rude et difficile. J’ai fait de mon mieux.
— Je
t’en remercie mais je ne demande aucun privilège pour moi ni pour mes
compagnons. Je suis désormais un soldat et je dois partager les conditions de
vie de mes semblables.
— C’est
un souci louable mais ne complique pas ma tâche par un excès de simplicité. Si
j’ai décidé de t’affecter cette partie du navire, c’est parce que nous n’en
avons guère besoin pour les nécessités du service. Je te laisse t’installer.
Nous nous retrouverons ce soir pour dîner si tu le veux bien. Je te ferai
chercher.
Hamilcar,
Épicide et Juba gagnèrent l’arrière du navire et les deux pièces qui leur
avaient été réservées, où leurs bagages avaient déjà été déposés. Le fils
d’Adonibaal décida de partager la plus grande chambre avec Juba, laissant la
plus petite à son ancien précepteur. A l’extérieur, on entendait des dizaines
d’hommes s’affairer. Les uns nettoyaient le pont à grande eau, les autres
hissaient à bord des tas de cordages, des jarres d’huile, du grain et du
fourrage. En fin de journée, alors que le soleil déclinait dans le ciel, un
brouhaha se fit entendre. Intrigués, Hamilcar et ses compagnons sortirent pour
voir ce qui se passait. Par l’arrière de la loge où était amarré le navire, des
dizaines d’hommes, vêtus d’un simple morceau de tissu autour de la taille,
s’avançaient. Ils avaient des fers aux pieds et étaient enchaînés par groupes
de dix. Tous étaient jeunes et d’origines variées. Il y avait là des Numides
mais aussi des Sardes, des Ligures et des Siciliotes. Devançant la question
d’Hamilcar, Épicide lui expliqua :
— Ce
sont les rameurs. Ce sont tous des esclaves. Certains sont des prisonniers de
guerre, d’autres ont été achetés par les envoyés de l’Amirauté à des villes qui
n’hésitent pas à vendre leurs sujets pour des coffres remplis d’or et d’argent.
— Faut-il
donc tant d’hommes pour notre marine ?
— Plus
que tu ne le crois. Carthage a des dizaines et des dizaines de bateaux. Sur ce
navire par exemple, il faut trois cents rameurs pour actionner les cinq rangées
d’avirons. Les voilà. Ils vont maintenant descendre dans la cale et y séjourner
jusqu’à la fin de notre voyage.
— Qui
les surveille ?
— Des
gardes-chiourme qui sont eux-mêmes d’anciens rameurs. Ils ne sont pas pour
autant plus tendres à l’égard de ces malheureux. Au contraire, ils semblent
même prendre parfois un malin plaisir à les fouetter et à les battre comme
s’ils voulaient se venger de ce qu’ils ont eux-mêmes jadis subi.
— Que
se passe-t-il quand le navire coule ?
— Ils
coulent avec lui. Ils sont attachés à leurs bancs et n’ont aucune chance de
pouvoir s’échapper. Ils le savent et c’est pourquoi, au plus fort de la
bataille, ils rament avec une ardeur sans pareille afin que leur bateau soit
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